LE PEUPLE KONGO OU BAKONGO
Le peuple Kongo ou bakongo constitue un peuple bantou d’afrique centrale. On les trouve principalement dans la province du Kongo central en République démocratique du Congo, au sud du Gabon dans les provinces de la ngounié et de la nyanga, au sud de la République du Congo à pool mpumbu, à buenza, à niadi, à lékoumou et dans d’autres régions comme kwilu, au nord de l’Angola dans les provinces de Uíge et Wizidi. Les Kongos sont évalués à plus de 18 millions d’habitant. Ils parlent divers langue du bantu ainsi que le kituba ou le kikongo ya leta, qui est un créole kikongo. En République démocratique du Congo et parmi les bakongo angolais qui y ont vécu pendant des années comme réfugiés, le kikongo a cédé beaucoup de terrain au lingala .
Au prime à bord dans les année 1942, des preuves archéologiques ont été trouvées à tchissanga (actuellement en République du Congo), un site datant d’environ 600 avant JC, le peuple Kongo s’y était installé dans la région bien avant le cinquième siècle de notre ère, et avait créé une société qui utilisait les ressources diverses et riches de la région et avait développé des méthodes d’agriculture et celle de la maîtrise du fer. Selon vansina, de petits royaumes et des principautés Kongo sont apparus dans la région actuelle vers 1200 de notre ère, mais l’histoire documentée et écrite de cette période du peuple Kongo existe bien, mais elle n’a pas survécu à l’ère moderne, car les explorateurs et missionnaires catholiques se sont occupés de censurer l’histoire écrite des Kongo. Une description détaillée et abondante du peuple Kongo qui vivait près des ports atlantiques de la région, en tant que culture, langue et infrastructure sophistiquées apparaît au 15e siècle écrite par les explorateurs portugais.
Les travaux anthropologiques ultérieurs sur les Kongo proviennent de la marginalisation des écrivains de l’époque coloniale, en particulier des français et des belges. De la poterie datée entre 2155 et 2035 ans avant note ère avait été trouvé à ngovo (actuellement dans le congo central). D’après koen bostoen, l’ancêtre commun du groupe Kikongo a au moins 2 000 ans et il a émergé non loin du pool malebo où se trouvent actuellement les capitales de Kinshasa et Brazzaville. D’après les traditions orales qui ont été récueillies, avant la création du “kongo ntolia”, il y aurait eu le kongo dia ntété ( qui est connu sous le nom de Kongo dia tuku le kongo des origines ), à la suite de l’éclatement du kongo dia ntelé il y aurait eu la création d’autres royaumes et une migration sous formes de spirale ( forme qui rappelle le coquillage Kodia d’escargot des kongos ). Toujours d’après les traditions orales pour les kongos le premier homme serait mawungu, (au départ un être mi-homme, mi-femme puis plus tard cet être se scinda en deux, en homme et en femme), on decouvre aussi le mythe de la femme aux neufs seins. Selon Vansina, les preuves suggèrent que le peuple kongo était avancé dans sa culture et ses systèmes socio-politiques avec de multiples royaumes bien avant que les Portugais atteignirent les côtes du fleuve Nzadi, (en langue Kongo Nzadi veut dire fleuve ; le nom Zaire (en français Zaïre) est né d’une mauvaise prononciation des portugais) sous la conduite de Diogo Cão en 1482. A l’arrivée des portugais, le royaume du kongo était sans doute l’un des plus prestigieux centres politiques que l’afrique centrale ait produit dans l’histoire. Des clans installés sur des territoires hétérogènes, qui fut unifié par un héros légendaire “lukeni lua nimi”, pour devenir au fil des siècles, une puissance politique dont la renommée et l’influence allaient de la côte atlantique aux franches septentrionales du bassin du Congo. Mais le destin de ce royaume bascula en 1482, lorsque les explorateurs Portugais conduits par Diego Cao y débarquèrent. Deux peuples, deux sociétés, deux cultures que tant de choses opposaient se retrouvèrent face à face.
De cette rencontre, on se serait attendu a priori à un véritable choc de civilisations. Mais au départ, il se tissera une histoire faite de respect mutuel, de courtisanerie, mais qui se transformera au fil du temps en ruse, barbarie, puis en véritable système d’exploitation, dont le paroxysme fut la traite négrière. Cette dernière a créé un environnement conflictogène, champ d’expression des contradictions, des incompréhensions liées à l’altérité et à la divergence des intérêts. Pourtant, le Kongo avait une identité culturelle forte, une organisation socio-politico-économique qui d’ailleurs forçait l’admiration des ressortissants portugais ou hollandais qui avaient eu l’occasion de visiter Mbanza Kongo, sa capitale entre le 15e et le 17e siècles. Au départ, d’un jeu de rapports basés sur l’égalité, le respect et la courtoisie entre les parties, la divergence des intérêts liés au développement du commerce a entrainé l’émergence de nouvelles préoccupations en faveur d’un portugal devenu arrogant, agressif, dépourvu de toute empathie et sourd aux plaintes des souverains locaux, qui s’insurgeaient contre des pratiques avilissantes. Ayant accepté et adopté la culture portugaise sous l’effet des pratiques barbare coupant l’individu de toute sa nature identitaire, les phénomènes d’acculturations et d’inculturations se sont accentués au fil du temps, influençant de fait une partie de l’univers culturel bakongo, tant du point de vue des artefacts, des technofacts que des idéofacts. En même temps, la participation du royaume du Kongo à la traite négrière a entrainé malgré lui l’exportation de la culture kongolaise vers les amériques. Cette internationalisation des cultures africaines en général et kongolaise en particulier est à l’origine de la créolisation des cultures afro-américaines actuelles, que l’on soit aux Etats Unis, au Brésil, à Cuba, en Colombie ou dans les Caraïbes. En nous appuyant sur les données historiques, linguistiques, anthropologiques et archéologiques, nous allons montrer comment une culture africaine a su s’adapter localement et intégrer des modes culturels, comment elle s’est exportée, maintenue et développée loin de ses frontières. Il s’agit de montrer la résilience des cultures dans des environnements hostiles en nous basant sur le cas des déportés bakongo. En effet, les esclaves bakongo en particulier et africains en général ont su développer des formes de résistance, en conservant jusqu’à nos jours une partie de leur patrimoine culturel ancestral. Leurs présence démographique et anthropologique dans le nouveau monde a contribué à l’éclosion d’une néo-culture aux Amériques, fruit de la rencontre entre africains, amérindiens.
Chez Les bakongo, La religion considère le monde comme multidimensionnel. Le monde matériel et le monde spirituel sont deux espaces qui se croisent en certains points de l’univers. Les esprits évoluent dans une sous-partie de cet univers d’au-moins 8 dimensions. Dans le monde des esprits se trouve la cité des ancêtres, Mpemba. Au-delà de ces mondes, se trouve kalunga nzambi mpungu tulendu (ou Tulendo). Les ancêtres font office d’intermédiaires entre le divin et l’homme. Le divin est perçu comme la cause primaire de toute chose, l’essence vitale de toute chose ainsi que la destination finale de toute chose. C’est ainsi que kalunga est à la fois le lieu où se dirigent les esprits, dont ils sont issus et Dieu Lui-même (Nzambi), source de ces esprits. kalunga est aussi la mère primitive dont tout est sorti, l’auto-créé. La spiritualité est aussi à la base de l’organisation politique et sociale. La descendance est matrilinéaire, et l’ensemble du peuple Kongo est regroupé autour de 12 clans (kânda en Kongo), que l’on retrouve aussi dans les dénominations de nombreux peuples d’Afrique noire ; ainsi les mbenza chez les sérère, et les wolof, descendants de nzinga, etc…
Sculpture d’une femme et son enfant (Phemba)
Sculpture d’un homme assis
LES INSTRUMENTS DE PERCUSSION CHEZ LES KONGO
Les instruments de musique sont nombreux et comprennent des membranophones, des cordophones, des aérophones et des idiophones. Parmi les membranophones, de nombreux tambours ont été reproduits par les esclaves Kongo aux amériques, comme on peut le voir en colombie chez les palenqué, ou alors les tambours dits yuka qu’on trouve à cuba. Sur le plan de la culture matérielle, les Bakongo produisaient des métaux, notamment le fer et le cuivre à la cire perdue. Ils fabriquaient leur outillage domestique et ritueliques avec ces métaux, le bois ou la poterie. Le fer, particulièrement, a joué un rôle important dans la structuration socio-politique de la société bakongo, même si l’on sait que son introduction au Bas-Congo, plus précisément dans le mayombe, remonte entre le 3e siècle et le premier siècle. Autrement dit, lorsque les bakongo arrivent dans le mayombe, la métallurgie du fer avait déjà une longue histoire dans cette région.
Instruments de musique des kongo. Ce tambour est l’ancêtre des tambours Yuka qu’on retrouve à Cuba.
Dans cet ensemble socio-politique, le roi était déjà l’hypostase du royaume. Dans la tradition des bakongo, à l’origine, le pouvoir avait un côté sacré. Selon la tradition orale, les premiers rois étaient des métallurgistes qui connaissaient la fabrication du fer. Or, contrairement à toutes les technologies connues au paléolithique et au néolithique, le principe de base de la métallurgie est celui de la transmutation de la pierre en métal. Ce changement d’état physique a donné à la métallurgie africaine une charge idéologique et symbolique et très forte, en faisant d’elle un art nécessitant deux types de savoirs, l’un technique et l’autre scientifique. C’est la raison pour laquelle dans la plupart des histoires africains, la métallurgie et les métallurgistes étaient associés à la création. On note d’ailleurs que dans la sidérurgie traditionnelle africaine, le symbole obstétrique est un trait transethnique. Dans de nombreux cas, comme chez les Dogons, les mandingues ou les Bantus en général, les métallurgistes sont, soit à l’origine, soit alors associés à la constitution des pouvoirs politique et religieux. Il en était de même au Kongo, au point qu’à l’origine, rois et forgerons avaient une histoire imbriquée. C’est la raison pour laquelle, d’une part, les objets en fer occupaient une place de choix dans les insignes royaux, et, d’autre part, après la spécialisation des pouvoirs, c’est au forgeron que revenait la tâche de légitimer le pouvoir royal à travers l’intronisation. Par exemple, on a pu voir que lors des sacres de Pedro II, en 1622, ou de son fils Garcia I, en 1624, ils portaient, sur le bras droit, un bracelet de fer doré qui symbolisait le royaume kongo, alors appelé « kongo de fer.»
Héritage culturel des bakongo en Amérique
En général, l’héritage culturel des esclaves africains est observable un peu partout en Amérique et il fait partie de l’identité culturelle afro-américaine. Il en est de même pour ce qui est des bakongo; leur apport culturel se manifeste ou s’est manifesté dans plusieurs pays et dans des domaines aussi variés tel que les langues, la politique, les arts, la religion, la musique, les danses, les chants etc… En réalité, tous ces éléments sont autant de manifestations aussi expressives les uns que les autres de la vie sociale et culturelle. Sur le plan politique et idéologique, John thornton pense que la révolte des esclaves d’août 1791 à Saint Domingue était d’inspiration africaine, avec une forte composante kongolaise. Et Laënnec Hurbon a montré qu’à Saint Domingue justement, les esclaves dits « Congos » étaient trois fois plus nombreux que les radas, originaires d’afrique de l’ouest. Autrement dit, ils constituaient une bonne partie de l’effectif militaire des esclaves révoltés; Et beaucoup connaissaient l’art de la guerre avant leur déportation d’Afrique. Cette expérience était, soit personnelle, pour les esclaves nouvellement débarqués, soit alors allusive, c’est à dire racontée par les parents ou les grands-parents originaires du Kongo à leurs descendants. Il est bien connu que la mémoire collective transmettait l’histoire des esclaves, y compris celle de leurs terres d’origine à travers les générations. La majorité des esclaves Kongolais étaient des guerriers capturés lors des multiples guerres civiles qui ont contribué à affaiblir le royaume entre le 17e et le 19e siècles. C’est probablement le cas de Macaya, esclave fugitif originaire du Kongo, arrivé à Saint Domingue et qui devint l’un des leaders de la rébellion au nord de l’île. Macaya met en exergue certaines valeurs, notamment la loyauté, la fidélité et l’indépendance morale que partageaient les esclaves africains et qui faisaient partie de leur réservoir axiologique, héritage de leurs cultures africaines. D’ailleurs, le fond idéologique qui a inspiré la rébellion des esclaves à Saint Domingue vient d’abord de l’expérience politique du Royaume du Kongo, qui était un Etat décentralisé. En conséquence, toute forme de centralisation y était combattue.
Les bakongo connaissaient le leadership, même si la moitié du 17e siècle et le début du 18e sont marquées par une guerre civile quasi permanente, liée à l’instabilité politique et à la traite des noirs. Ainsi, la majorité des jeunes kongolais étaient des guerriers qui savaient commander et discipliner des troupes. Or, un grand nombre d’esclaves de Saint Domingue étaient d’anciens guerriers kongolais, qui à l’occasion de la révolte de 1791, ont mis en pratique leurs connaissances. Et comme Thornton l’a montré, les croyances jouaient également un rôle important durant les conflits et de nos jours des guerriers traditionnels africains arborent encore des gris-gris et des amulettes pour les protéger contre les armes des ennemies. Toutes ces connaissances, à la fois pratiques et drivant de la maîtrise des lois de la nature ont dû influencer le comportement de nombreux esclaves. Ainsi, Odette Mennesson-Rigaud a montré que le Vaudou y a joué un rôle mobilisateur dans la révolution haïtienne. En effet, la « cérémonie du bois caïman » tenue dans la nuit du 14 août 1791 a rassemblé de nombreux esclaves qui ont réalisé le rituel « du pacte de sang », en buvant le sang d’un cochon sacrifié. L’ingestion de cette potion était censée les rendre invulnérables. Nous n’entrerons pas dans le débat sur l’origine de ce pacte, à savoir s’il est dahoméen ou kongolais, puisqu’en afrique, l’ingestion de potions magiques contenant du sang sacrificiel existe encore chez les bakongo, comme au sein d’autres groupes bantu. En général, dans la révolte des esclaves, les réglions afro-américaines comme le Candomble, le Vaudou et le Palo Monte étaient des facteurs mobilisateurs, et elles jouaient un rôle important par leur aspect syncrétique, et révolutionnaire. Ces trois aspects existaient déjà dans le catholicisme kongolais qui était fortement politisé. Par exemple, en 1509, pour devenir roi, Afonso I aurait bénéficié de l’aide de Saint Jacques, accompagné de cavaliers blancs dans la guerre qui l’opposait à son frère mpanza a nzinga. Ce côté prophétique et révolutionnaire de la religion et son exploitation politique a persisté au Kongo, y compris au 18e siècle. C’est dans ce contexte que se situe le mouvement révolutionnaire antoiniste, lancé en 1704 par Dona Beatriz Kimpa Vita, qui a déclaré être la réincarnation de Saint Antoine de Padoue. Dans un royaume en pleine déliquescence du fait de la guerre civile et la traite négrière, ce mouvement qui militait contre l’esclavage et pour l’unité du royaume a attiré plusieurs milliers de fidèles formés aux techniques de guérilla et imprégnés de l’idée d’émancipation. Ils étaient contre les Européens, y compris le clergé, avoir travesti le message biblique et participé à la traite des noirs.
Pour Thornton, de tels mouvements ont donc inspiré de nombreux esclaves, y compris les leaders de la révolution haïtienne comme Macaya. C’est donc à juste titre que le Général Français Pamphile évoque dans ses mémoires le « fanatisme religieux » de ce dernier. En réalité, comme lui, les esclaves originaires du Kongo qui arrivaient en Amérique étaient souvent des chrétiens syncrétiques, ayant une tendance naturelle pour la révolution. La religion catholique et les croyances traditionnelles avaient fusionné au Kongo et produit une nouvelle forme de catholicisme dans lequel les chefs traditionnnels (nkisi) et les guérisseurs (nganga) occupaient toujours une place importante. Car même si les africains avaient bien adopté le christianisme, ils restaient et attachés à leurs coutumes, comme on peut encore le voir de nos jours. Il était donc illusoire de penser que le baptême effacerait la culture kongolaise. Le bakongo à l’image de l’homme africain en général est profondément attaché a sa culture et tradition. Tel que l’a dit T. buakassa, « la religion africaine n’existe nulle part, mais elle est partout, dans les consciences, dans les opérations spirituelles ou empiriques, dans les représentations, dans les attitudes, dans les gestes, dans les proverbes, dans les légendes etc… Elle est partout, à la campagne comme en ville. Les esclaves africains avaient conservé ce côté fortement religieux, et pratiquer la religion de leurs ancêtres constituait un acte militant, ceci étant un symbole d’une résistance de l’esprit face à l’oppression, car on opprime le corps et non l’esprit. Dans un tel environnement, pour contenter leurs maîtres, les esclaves louaient des chants chrétiens africanisés de même que les esprits des ancêtres. Cachés dans les objets de culte, ces esprits pouvaient intercéder en leur faveur et cristalliser leurs revendications. C’est la raison pour laquelle, le culte jouent toujours un rôle important dans les religions afro-américaines comme le Vaudou haïtien, le Candomble au Brésil, le Palo Monte encore appelé Palo Mayombe à Cuba. Ce syncrétisme n’est pas univoque, c’est-à-dire entre christianisme et religions africaines. Il concernait également les croyances africaines entre elles, puisque les religions dahoméenne et kongolaise, par exemple, bien qu’ayant des panthéons différents, ont su fusionner pour créer le Vaudou haïtien, qui est une parfaite synthèse des deux. C’est ainsi que dans cette religion, le terme “Basimbi” qui désigne les génies est d’ascendance bakongo. Ce vocable est une dérivation du mot kikongo “Bisimbi” qui désigne l’esprit des ancêtres disparus il y a très longtemps. Toujours dans le Vaudou haïtien, les talismans appelés « paket kongo » étaient préparés par le nganga ou prêtre en kikongo. Dans le Palo Mayombe, on utilise les nkondi, qui sont des statuettes avec des clous et qu’on trouve uniquement chez les Bakongo. John Thornton a montré que ce sont les esclaves venus du Kongo entre 1760 et 1860 qui ont introduit l’afro-christianisme à Cuba et qui ont donc crée le Palo-Mayombe, une religion afro-cubaine. Le terme Mayombe renvoie à un bois du pays Kongo et la majorité des morphèmes du vocabulaire rituel utilisé par les Paleros (adeptes du Palo) sont issus des variantes dialectales kikongo. Certains termes sont restés typiquement kikongo, comme Nzambi, Nkisi ou Ndoki, qui désignent respectivement Dieu le créateur, les cultes et le genie. D’autres sont des dérivations comme Ngangueros qui vient de Nganga ou genie en Kikongo. L’étude du vocabulaire et des pratiques rituelles montre également que le Candomble, religion afro-brésilienne est aussi d’origine bakongo. On y trouve des termes comme Calunga, Ganga, Pemba, Zambi qui viennent respectivement des termes kikongo Kalunga, Nganga, Pemba, Nzambi. Ces vocables désignent respectivement l’immanence de Dieu ou l’océan, le guérisseur. En Colombie, les études génétiques ont confirmé l’origine Kongo des Palanqué, une communauté d’afro-colombiens. Ces esclaves fugitifs ont créé un village libre fortifié situé à 80 km de la ville portuaire de Carthagène. Ces communautés parlent une langue créole, le palenquera, constitué d’espagnol et de bantu, plus spécifiquement de Kikongo et d’un peu d’Imbundu. La lexicologie a permis de localiser leurs origines au royaume du Kongo et en Angola. Les traces linguistiques, marquées par la présence de plus de 200 mots d’origine africaine, indiquent que l’apport le plus important est celui du Kikongo et particulièrement le Yombé, une de ses variantes dialectales parlées dans la zone de Pointe-Noire au Congo. Sur le plan anthropologique, les chants mortuaires appelées lumbalú sont issus du répertoire mélancolique des bakongo, le lu-mbalu, chanté lors des obsèques. Sur le plan génétique, les études ont montré qu’il y a plus de ressemblances entre les locuteurs du Palenque et ceux du Yombé qu’avec les autres populations non-Yombé. Dans les Caraïbes, Barry W. Higman a montré que les esclaves d’origines kongo étaient nombreux et la linguiste a consacré ses travaux à l’étude de l’influence des idiomes africains, dont le kikongo, sur les langues et cultures créoles d’Amérique. Sur le plan lexical, elle a montré que de nombreux mots créoles sont issus du kikongo. Dans une étude portant sur la contribution africaine aux langues créoles françaises, y a listé les vocables bantu. Nous en avons dénombré 131 dont 31 kikongo, soit 23,6%, donc presque le tiers. En Jamaïque, ce chiffre tombe à 19% sur un total de 289 mots d’origine africaine. Nous pensons donc qu’environ un quart au moins des mots africains utilisés dans les langues créoles d’Amérique sont issus du Kikongo. Dans trois études, Maureen Warner Lewis a montré à quel point cette langue a influencé les créoles des Caraïbes qu’il s’agisse de Cuba, Trinidad, Tobago, Suriname, la Guadeloupe ou la Martinique.
A Trinidad, on trouve de nombreuses unités linguistiques composées, associant des termes kikongo ou alors utilisant le nom même de Kongo. C’est ainsi que dans cette île, une rivière est appelée Kongo, alors qu’un groupe ethnique se réfère comme les Kongo Zagunga. A Cuba, les Congos Banda sont liés aux langues kikongo et Kibundu. Des mots parasynthétiques avec le terme kongo se rencontrent également dans d’autres îles. Par exemple au nord de la Martinique, un village porte le nom de Morne Kongo, alors qu’au Bahamas, une autre localité, située dans l’île d’Andros, est nommée Congo town (Warner Lewis, 2003). Les mots issus du Kikongo sont tout aussi nombreux comme Musundi, qui vient de Nsundi, chef lieu de la province kongolaise éponyme. Au Surinam, les Saramakan, un groupe ethnique de l’île, utilisent le terme Bótê qui vient du kikongo Mbote, pour dire bonjour. Ils répondent “Sikenai Bótê” qui vient de l’expression ngui sikama na mbote qui signifie en kikongo « je suis en santé, je me porte bien » ). L’influence de cette langue fut telle que dans de nombreux mots créoles, le radical est souvent resté le même, seuls le préfixe et le suffixe ont parfois changé. C’est le cas du terme Lahay à Trinidad qui vient du vocable kikongo laha, qui veut dire mendier. Toujours à Trinidad, l’expression Lebby-lebby, qui signifie « mou, sans énergie», vient du kikongo lébé-lébé, c’est-à-dire fragile. Certains Trinidadiens parlent même le Kongo Angôl, une langue d’origine bantu dont le nom désigne l’ascendance de ses locuteurs, originaires de la Republique democratrique du congo et d’Angola. Maureen Warner Lewis révèle également que le nom Mbanza Kongo revient dans de nombreuses chansons populaires. En réalité, l’influence africaine est partout inextricable en amérique et on la trouve également dans les musiques et les danses afro-américaines. Antoine anda tchebwa a montré comment, à Cuba, la musique, plus précisément la rumba cubaine, est un élément fondateur de l’héritage afro-cubain dans l’affirmation culturelle et même idéologique des Cubains. En effet la rumba était d’abord une danse de fécondité, née dans les communautés afro-Kongo, au point de devenir la matrice qui fonde la musique afro-cubaine. les anciens esclaves ont su se reconstituer aussi par la croyance ancêstral et la musique. Ces derniers a joué le rôle de « support ontologique de reconstruction des esclaves » avec le tambour comme élément majeur. Ainsi, de nombreux instruments musicaux qu’on trouve en Amérique font partie de l’héritage culturel africain. En ce qui concerne les Bakongo, leurs descendants en Amérique ont importé des instruments de percussion, notamment les tambours Yuka et Kalunga. L’ancêtre du Yuka peut être observé sur la figure ci-dessous.
Tambour Kalunga joué par trois percussionnistes cubain, et l’image (lB) c’est un tambour Yuka d’origine kongo à Cuba.
On trouve d’autres tambours dans les communautés africaines de Cuba, comme les tambours “Bata”, originaires d’afrique de l’ouest (Bénin, Ghana) et aussi le “boté” originaire de l’empire sosso (Guinée) et qui sont surtout utilisés dans la liturgie du Vaudou, c’est par réminiscence que chaque communauté africaine déportée fabriquait ses tambours en fonction des modes ancestraux connus en Afrique. L’influence culturelle bakongo se fait aussi ressentir dans certaines manifestions culturelles comme le Congado au Brésil, qui retrace le couronnement du roi du Kongo. Dans l’Etat de Pernambouc, situé au nord-est de ce pays, une autre cérémonie rituelle tout aussi colorée, le Maracatu évoque l’histoire et les coutumes de la cour des rois du Kongo. Dans les Caraïbes, de nombreux anthroponymes sont également d’origine kongolaise et dans ses recherches, Maureen Warner Lewis en a dénombré 42 pour Cuba, la Guyane et Trinidad. C’est le cas de Biloongo, Bugulu, Enlongo, Kabungo, Lubamba, Mantumba, Kimboogo, etc. A Haïti, on a aussi des noms célèbres comme Macaya et Makunda. Nous avons aussi trouvé les noms Massembo en Guadeloupe, Makesa et Mabiela en Martinique. De nombreux toponymes sont aussi d’origine kongo et Maureen Warner Lewis en a dénombré plusieurs. C’est le cas des termes Makungo en Jamaïque, El Cerro del Kongo ou colline du Kongo au Mexique, Congo Kunuk à Trinidad. Aux Etats-Unis, le conflit entre colons Anglais et Espagnols a emmené le gouverneur de Floride, l’Espagnol Manuel de Montiano, à établir, en 1758, une ville réservée aux esclaves fugitifs. C’est dans ce contexte que fut crée le Fort militaire à Gracia Real de Santa Teresa de Mosé réservé aux esclaves fuyant la Géorgie et la Caroline. Pour retrouver la liberté, ces derniers devaient se convertir au catholicisme et ils étaient majoritairement d’origine kongolaise. Cette ville est devenue la première cité des noirs libres. Mais, les influences bakongo dans ce pays pourraient être plus importantes, comme l’a montré le linguiste koen bostoen dans les travaux qu’il a publié sur le site en ligne kongoking projetc. Ainsi, dans la Nouvelle-Orléans, le lieu mythique associé à la naissance du Jazz est appelé Kongo square. Depuis le 18e siècle, il s’agit de la place où les esclaves avaient l’habitude de danser des rythmes d’origine africaine. D’ailleurs, le groupe culturel qui gère ce site porte le nom de Kongo nation. Bostoen a montré que certains mots anglicisés sont issus du kikongo. C’est le cas de peanut (arachide) qui est une transformation du néerlandais pinda qui vient du terme kikongo Mpiinda. Le terme goober dans l’anglais américain vient du kikongo Ngúba qui désigne aussi les arachides tandis Bambi petite antilope serait issu du mot Mbambi. Au terme de cette étude, il ressort que les bakongo avaient une culture riche, prestigieuse ancrée dans les entrailles de l’histoire. Les contingences historiques ont voulu qu’en Afrique, ce peuple entre en contact avec la culture européenne, entrainant des processus d’acculturation et d’inculturation. La conséquence a été la créolisation de la culture bakongo, et nous avons montré que cette culture africaine a su s’enrichir des influences occidentales sans renoncer à son essence identitaire. Mais la rencontre avec le Portugal, notamment, a été aussi la source des malheurs du Kongo, puisque sa participation au commerce triangulaire a eu des conséquences néfastes sur tous les plans : politique, économique, social, sécuritaire et démographique. Les guerres civiles, la désorganisation des circuits économiques, le dépeuplement massif des territoires du royaume du Kongo l’ont irrémédiablement affaibli. Mais les Bakongo, transportés en esclavage aux Amériques ont su maintenir leur héritage culturel dans un environnement hostile et avilissant. Nous avons montré le rôle que les facteurs culturels ont joué dans cette résilience. Comme les autres cultures africaines emmenées en Amérique par les esclaves, celle des bakongo a su se conserver, se mélanger, se transmettre au fil des générations, pour devenir un élément déterminant de la culture afro-américaine actuelle. Sur le plan politique, nous avons montré l’impact de l’idéologie kongo sur la révolte des esclaves et l’évolution politique d’Haïti, première nation noire devenue indépendante en 1804. Mais c’est surtout dans le domaine religieux et linguistique que l’influence de la culture bakongo est la plus patente. De nombreux mots et expressions dans les langues créoles des Caraïbes sont issus du kikongo. Si certaines religions afro-américaines dont le Candomble et le Palo Mayombe sont d’origine kongolaise, les esclaves bakongo ont contribué à la structuration théologique du vaudou haïtien. Ces influences kongolaises sont aussi observables au niveau artistique, à travers les chants, les danses et certains instruments de musique.
Il serait donc difficile de concevoir la culture américaine telle qu’elle existe aujourd’hui sans l’apport des africains en général et des Bakongo en particulier, il est visible sur tous les aspects socioculturels du peuple noirs vivant aux amériques .
BIBLIOGRAPHIE
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Olivier Bidounga, Ntsikamanou : l’art de l’autre, précis de civilisation kongo, Éditions Amalthée, 2019, 170 p., 20 cm. Bibl. p 157-165.
L’art de guérir chez les Kongo du Zaïre : discours magique ou science médicale, Centre d’étude et de documentation africaines, 1984, 71 p.
Marcel Soret et André Jacquot, Les Kongo nord-occidentaux, Paris, L’Harmattan, 2005, 144 p.
Joseph Van Wing, Études bakongo : vol. I – Histoire et Sociologie, Bruxelles, 1921.Les deux ouvrages de Joseph Van Wing restent une référence importante. 2e édition: Études Bakongo : sociologie, religion et magie. 1959. 512 p. : plan, cartes.
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