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Le rêve d’une Afrique fédérale : Comment matérialiser l’utopie? (Suite)

Quelles solutions pour le projet d’unité africaine ?

Depuis l’époque des indépendances africaines, l’unité du continent reste un rêve qui anime les esprits, mais aussi un projet semé d’embûches. De l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à l’Union Africaine (UA), en passant par l’idée des États-Unis d’Afrique (EUA), les efforts d’intégration ont fait face à de nombreux défis. Pourtant, l’heure est venue de réinventer ce projet en le fondant sur des bases solides : l’éducation, l’unité culturelle, la résolution des fractures historiques, la spiritualité endogène et une refonte des relations économiques intra-africaines.

1) L’Éducation : Reconnaître et enseigner l’histoire africaine

L’un des plus grands obstacles à l’unité africaine est l’ignorance des Africains eux-mêmes quant à leur passé. La colonisation a imposé une version biaisée et fragmentée de l’histoire africaine, façonnant des générations avec des récits eurocentrés. Selon l’UNESCO, près de 60% des enfants africains n’ont toujours pas accès à une éducation de qualité qui leur permettrait d’apprendre leur propre histoire. Ce manque de connaissances limite la prise de conscience collective des luttes partagées, des accomplissements culturels, et de la richesse historique du continent.

L’importance de réécrire l’histoire africaine

Cheikh Anta Diop, dans ses travaux monumentaux tels que Nations nègres et culture, a souligné l’importance de la réécriture de l’histoire africaine. Il a démontré que l’Égypte antique (Kemet) était une civilisation noire et que l’Afrique était le berceau de la civilisation humaine. Pourtant, ces faits sont encore contestés ou ignorés dans de nombreux systèmes éducatifs africains, dominés par les narratifs coloniaux.

Un autre exemple frappant de cette distorsion historique est la manière dont la traite négrière transatlantique est enseignée. Elle est souvent présentée sans contextualisation des résistances africaines à l’esclavage ni de la complexité des sociétés africaines avant l’arrivée des Européens. Pour corriger cela, les États africains devraient intégrer les travaux d’intellectuels africains comme Diop, W.E.B. Du Bois (Les âmes du peuple noir), et Aimé Césaire dans leurs curriculums scolaires.

Réforme des systèmes éducatifs

Les États africains doivent investir davantage dans l’éducation. Selon la Banque mondiale, en 2020, la majorité des pays africains consacraient en moyenne 5% de leur PIB à l’éducation, un chiffre nettement inférieur aux besoins du continent. Il est crucial d’augmenter ces dépenses et d’intégrer des programmes basés sur l’histoire africaine, les civilisations anciennes et les figures panafricaines.

En parallèle, les langues africaines doivent être valorisées dans l’enseignement. Seulement 20% des élèves africains étudient dans leur langue maternelle, les autres devant apprendre dans des langues coloniales (français, anglais, portugais, etc.). Il serait pertinent de promouvoir des langues panafricaines comme le swahili, parlé par plus de 150 millions de personnes dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est, comme une langue d’instruction et d’unification.

2) L’Unité culturelle : Revalorisation du panafricanisme

L’unité culturelle est un autre pilier fondamental pour construire une Afrique unie. Depuis le Congrès panafricain de 1945 à Manchester, qui a posé les bases des luttes anticoloniales, le panafricanisme a été une force motrice pour l’émancipation et l’unité du continent. Pourtant, aujourd’hui, cette idéologie semble avoir perdu de son influence dans les cercles politiques.

Repenser le panafricanisme

Le panafricanisme doit être réinventé pour répondre aux défis contemporains. L’Afrique est un continent de plus de 1,3 milliard d’habitants, répartis en 55 États. Selon la Banque africaine de développement (BAD), 54% de la population vit dans des zones urbaines, ce qui renforce les besoins de mobilité et d’intégration culturelle. Les jeunes, qui représentent 60% de la population africaine, sont également au cœur de la redéfinition du panafricanisme.

Le panafricanisme moderne doit reposer sur la diversité culturelle tout en cherchant à créer des espaces communs d’échange et d’interaction. Des initiatives culturelles panafricaines, telles que les festivals de musique (Festival panafricain d’Alger, Sauti za Busara à Zanzibar) ou encore des projets cinématographiques interafricains, devraient être davantage soutenues.

Kemetisme et renaissance africaine

Le kémétisme, un mouvement cherchant à reconnecter les Africains avec l’héritage spirituel et culturel de l’Égypte antique, est un autre outil essentiel pour renforcer l’unité. Des penseurs comme Molefi Kete Asante, avec sa théorie de l’afrocentrisme, ont démontré que l’Afrique devait réorienter son regard vers elle-même et non plus vers l’extérieur. Ce retour aux sources pourrait renforcer l’identité panafricaine, en redécouvrant des valeurs ancestrales de coopération, de respect de la nature et de solidarité.

3) Racisme et divisions : Unité Nord-Sud et soutien aux luttes amazighes

Une division majeure entravant l’unité africaine est le fossé entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. Cette fracture est nourrie par des siècles de racisme, de politiques d’arabisation et de manipulations politiques.

Le racisme anti-noir en Afrique du Nord

Des enquêtes réalisées par l’ONG Racisme et Modernité en Afrique du Nord montrent que plus de 30% des Africains subsahariens vivant dans cette région ont été victimes de discrimination. Ce racisme anti-noir trouve ses racines dans la traite des esclaves transsaharienne et est exacerbé par des politiques identitaires prônant l’arabisation. Des leaders panafricains comme Thomas Sankara ont dénoncé ces divisions et appelé à l’unité de l’Afrique dans sa diversité.

Pour surmonter cette division, le panafricanisme et le kémétisme doivent soutenir activement les luttes des peuples amazighs, notamment au Maroc et en Algérie, qui se battent pour la reconnaissance de leurs identités culturelles africaines. Le soutien des autres régions d’Afrique à cette cause pourrait renforcer la solidarité continentale contre les forces de fragmentation.

4) Les religions : La voie de la spiritualité endogène

La religion est l’un des facteurs les plus polarisants en Afrique. Les conflits entre chrétiens et musulmans sont fréquents dans des pays comme le Nigeria, où la violence religieuse a coûté la vie à plus de 20 000 personnes entre 2009 et 2021, selon Human Rights Watch. Les influences extérieures, qu’il s’agisse des liens avec le Vatican, La Mecque ou d’autres centres religieux mondiaux, ont souvent contribué à diviser les Africains plutôt qu’à les unifier.

Promouvoir les traditions spirituelles endogènes

Une solution serait de réhabiliter et de promouvoir les spiritualités traditionnelles africaines, qui sont enracinées dans les réalités locales et prônent souvent l’harmonie avec la nature et la communauté. Les Yoruba, les Dogon, les Maasai et d’autres peuples ont des systèmes spirituels complexes qui valorisent les ancêtres, la terre et le respect de l’environnement. La promotion de ces traditions pourrait servir de base à un renouveau spirituel unificateur, capable de transcender les divisions religieuses actuelles.

Les gouvernements africains pourraient encourager cette réappropriation spirituelle en incluant ces pratiques dans les programmes culturels et éducatifs. Par exemple, au Bénin, le vaudou est reconnu comme religion officielle et participe à la cohésion sociale dans certaines régions.

5) Économie : Priorité aux échanges intra-africains

L’Afrique ne pourra jamais atteindre l’unité sans une véritable intégration économique. Le commerce intra-africain ne représente actuellement que 17% du commerce total du continent, selon la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies (CEA), contre 68% pour l’Europe. Cela s’explique par des infrastructures limitées, des barrières douanières, et une faible coordination entre les pays africains.

Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf)

La ZLECAf, lancée en 2019, est une avancée majeure vers l’intégration économique. Elle regroupe 54 des 55 États membres de l’UA et vise à créer un marché unique de biens et de services. Si elle est pleinement mise en œuvre, la ZLECAf pourrait augmenter le commerce intra-africain de 52% d’ici 2022, selon la CEA.

Pour que cette zone de libre-échange fonctionne efficacement, il est impératif d’investir dans des infrastructures transnationales.

Développement des infrastructures transnationales

L’absence d’infrastructures adéquates est l’un des principaux freins à l’intégration économique en Afrique. Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), le déficit d’infrastructures sur le continent coûte entre 2 et 3 % de croissance annuelle. Les routes, les voies ferrées, les réseaux énergétiques et les télécommunications restent insuffisamment développés, entravant les échanges entre les pays africains. Par exemple, il est plus facile et moins coûteux de transporter des marchandises entre l’Afrique et l’Europe qu’entre deux pays africains voisins.

Le projet de réseau intégré de trains à grande vitesse, initié par l’Union Africaine, est une réponse ambitieuse à cette problématique. Ce projet, qui vise à relier les principales capitales africaines par des lignes ferroviaires modernes, pourrait réduire considérablement les coûts de transport et faciliter le commerce intra-africain. La réalisation de ce projet nécessite toutefois des investissements massifs et la coopération de nombreux États.

En matière d’énergie, des projets comme le Grand Barrage de la Renaissance en Éthiopie ou le projet de pipeline Nigeria-Maroc sont des exemples d’infrastructures continentales qui pourraient avoir un impact positif sur l’intégration économique régionale. Ces infrastructures doivent cependant être accompagnées de réformes pour améliorer la gouvernance et renforcer les institutions responsables de leur gestion.

Renforcer les communautés économiques régionales (CER)

Les Communautés Économiques Régionales (CER) jouent un rôle crucial dans l’intégration continentale. Parmi les plus importantes, on trouve la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), ou encore le Marché Commun de l’Afrique Orientale et Australe (COMESA). Ces organismes régionaux sont essentiels pour coordonner les politiques économiques, réduire les barrières tarifaires et faciliter la circulation des personnes et des biens.

Cependant, les CER doivent encore renforcer leur coopération pour surmonter les obstacles qui subsistent. Le manque de synergies entre ces entités régionales ralentit souvent l’atteinte de leurs objectifs. Par exemple, l’intégration monétaire au sein de la CEDEAO, avec le projet de monnaie unique (l’Eco), rencontre des résistances et des retards, malgré des discussions qui remontent à plus de deux décennies.

L’un des leviers de réussite serait d’harmoniser les politiques douanières et fiscales, en créant des corridors économiques qui facilitent les échanges entre les blocs régionaux. En parallèle, les leaders africains doivent investir davantage dans la formation de cadres qualifiés pour gérer ces institutions et s’assurer que les processus de décision reflètent les aspirations des peuples africains, plutôt que des intérêts étatiques ou étrangers.

6) Solutions politiques pour renforcer l’unité

Au-delà de l’économie, l’unité africaine repose aussi sur des choix politiques et institutionnels. L’Union Africaine, en tant qu’organisation continentale, a un rôle à jouer dans la consolidation de cette unité, mais elle doit surmonter ses propres limitations.

Réformer l’Union Africaine

Malgré ses avancées, l’UA souffre encore de nombreuses critiques. Son modèle bureaucratique, ses lenteurs décisionnelles, et sa dépendance aux financements étrangers posent problème. En 2021, 42 % du budget de fonctionnement de l’UA était financé par des partenaires extérieurs, selon le rapport de la Commission de l’Union Africaine. Cette dépendance limite son indépendance et affaiblit la souveraineté des décisions prises au nom des Africains.

Une réforme de l’UA pourrait passer par un financement accru de la part des États membres. Chaque pays devrait s’engager à verser une contribution proportionnelle à son PIB, pour garantir l’indépendance financière de l’organisation. En parallèle, des efforts devraient être faits pour réduire la bureaucratie, renforcer la transparence et inclure davantage de mécanismes participatifs dans les processus de décision.

Développer des institutions continentales fortes

L’Afrique doit également consolider ses institutions continentales pour renforcer l’intégration. Le Parlement panafricain, basé en Afrique du Sud, est un organe consultatif de l’UA qui pourrait jouer un rôle plus central si ses prérogatives étaient élargies. Il pourrait devenir un forum législatif où les lois et les réglementations continentales sont discutées et adoptées, à l’image du Parlement européen. Cela permettrait d’harmoniser les législations entre les différents États membres, facilitant ainsi la coopération et l’intégration économique.

La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, quant à elle, devrait être renforcée pour garantir la protection des droits humains sur le continent. Seulement 30 États africains ont ratifié le protocole établissant cette cour, ce qui limite son champ d’action. Une meilleure reconnaissance et un financement accru de cette institution permettraient d’assurer que les droits des citoyens africains sont protégés, même dans les contextes politiques les plus difficiles.

7) Un modèle de développement inclusif et durable

L’Afrique, en quête de développement, doit définir un modèle qui lui est propre. L’intégration ne pourra pas réussir sans une réflexion approfondie sur le type de développement souhaité pour le continent. Ce développement doit être inclusif, durable, et ancré dans les réalités africaines.

Développement durable et préservation des ressources naturelles

Le continent africain est riche en ressources naturelles : pétrole, or, diamants, terres arables, etc. Pourtant, selon la Banque mondiale, 75% de la population africaine vit encore avec moins de 5,50 dollars par jour. Cette situation s’explique en partie par l’exploitation non durable des ressources par des entreprises multinationales, souvent au détriment des populations locales.

Pour changer cela, les États africains doivent mieux gérer leurs ressources et garantir que les bénéfices de l’exploitation profitent aux citoyens. Des initiatives telles que la Transparence des Industries Extractives (ITIE) visent à améliorer la gouvernance dans ce secteur, mais elles doivent être accompagnées de politiques nationales plus rigoureuses. Par ailleurs, l’Afrique doit investir dans des secteurs d’avenir, comme les énergies renouvelables, pour se préparer aux défis du changement climatique.

Le rôle du secteur privé et des PME

L’émergence économique de l’Afrique repose également sur le dynamisme de son secteur privé. Les petites et moyennes entreprises (PME) représentent environ 90% des entreprises en Afrique et contribuent à plus de 60% des emplois formels. Toutefois, elles sont confrontées à de nombreux obstacles, notamment l’accès au financement, la réglementation excessive et l’absence d’infrastructures.

Pour soutenir ce secteur, les gouvernements africains doivent créer un environnement plus favorable à l’entrepreneuriat. La simplification des démarches administratives, la création de fonds de soutien aux PME, et l’amélioration des infrastructures numériques sont des pistes à explorer. Des initiatives comme la mise en place d’incubateurs régionaux ou de zones économiques spéciales pourraient également dynamiser l’innovation et attirer des investissements locaux.

Mettre en avant le capital humain africain

Enfin, l’Afrique doit capitaliser sur son plus grand atout : sa jeunesse. Le continent abritera la plus grande population active du monde d’ici 2050, avec une force de travail estimée à 1,3 milliard de personnes. Cette jeunesse doit être au cœur des politiques de développement, avec des investissements massifs dans l’éducation, la formation professionnelle et la santé.

Des programmes comme la Stratégie Continentale de l’Éducation pour l’Afrique 2016-2025 (CESA) visent à améliorer l’accès à l’éducation de qualité. Toutefois, ces initiatives doivent être renforcées et accompagnées d’efforts concrets pour créer des opportunités économiques pour les jeunes.

8) Conclusion : Quelles solutions concrètes pour l’unité africaine ?

L’unité africaine ne sera pas atteinte du jour au lendemain, mais elle est plus nécessaire que jamais pour faire face aux défis globaux du XXIe siècle. L’Afrique doit miser sur l’éducation, la réappropriation de son histoire, la promotion de l’unité culturelle, la valorisation de ses spiritualités endogènes, et le renforcement des échanges intra-africains.

L’Union Africaine, en tant qu’institution centrale, devra se réformer pour devenir un véritable moteur d’intégration. Les États africains devront également assumer leurs responsabilités en soutenant financièrement ces projets et en encourageant la coopération régionale. Quant à la société civile, elle doit continuer à jouer un rôle de veille, de proposition et d’action pour rapprocher les peuples africains.

C’est ainsi, en conjuguant vision, volonté politique et action citoyenne, que le rêve d’une Afrique unie, prospère et souveraine pourra se concrétiser.

Podcast Obosso TV – L’Unité Africaine est-elle une illusion?

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