L’affaire Clairvius Narcisse : une perspective rationnelle sur les superstitions africaines
Les histoires de zombification en Haïti et d’autres superstitions africaines ont longtemps captivé l’imagination populaire. Cependant, il est essentiel d’adopter une approche rationnelle pour comprendre ces phénomènes. L’affaire de Clairvius Narcisse, un homme haïtien présumé zombifié, offre un exemple fascinant de la manière dont une explication scientifique peut dissiper les croyances superstitieuses.
Contexte de l’affaire :
Le 30 avril 1962, Clairvius Narcisse, 40 ans, entre aux urgences de l’hopital Albert Schweitzer dans la ville de Deschapelles. 3 jours plus tard, le 2 mai à 13h15, il a été déclaré mort et est enterré dans le cimetière des gonaïves en Haïti. Des années plus tard, en 1982, il est réapparu dans son village, affirmant avoir été victime de zombification. Cette histoire a alimenté les récits sur la magie noire, les rituels vaudous et les zombies en Haïti. Il est intéréssant de noter qu’une dispute familiale, concernant un terrain dont à hérité Clairvius de son père en tant qu’ainé, à éclaté et Clairvius qui avait pour projet de vendre le terrain et allé s’installer à Miami, aux Etats-Unis, avait été “prévenu” de ne pas le faire par certains membres de sa famille. En effet on apprendra plus tard que son frère était derriere le coup et avait contacté une société secrète vodou pour parvenir à ses fins. Ce n’est qu’à la mort de ce dernier que Clairvius se presenta à sa soeur, Angelina Narcisse, de peur des actions de son frère si jamais il venait à apprendre que Clairvius était toujours vivant.
Clairvius Narcisse sur ce qui apparait être son ancienne tombe
La zombification dans la religion vaudou :
La zombification est une pratique qui a été associée au vaudou, une religion africaine et afro-caribéenne centrale à l’histoire d’Haïti (Nous ferons un article sur la cérémonie du Bwa Kayiman et sur la revlution haïtienne). Selon les croyances, le “Houngan” ou “Mambo”, un prêtre ou prêtresse vaudou, possède le pouvoir de transformer un individu en zombie à l’aide de ce qui est appelé communément “poudre de zombi” potions et de rituels magiques. Cette “punition” était initialement réservées à ceux qui était considérés comme mauvais pour la société, à savoir criminels et autres voleurs et causeurs de troubles. Cela dit les “Bokors” (des sorciers vaudou) sont ceux à qui cette pratique est associée généralement. Il est intéréssant de noter que le mot zombi signifie “esprit” ou encore “revenant” en créole et renvoi à certains termes utilisé en Afrique pour désigner Dieu, la force vitale ou encore le chef des esprits et des ancêtres.
Explication rationnelle : L’ethnologue Zora Neale Hurston, est l’une des premières scientifiques à émettre l’hypothèse d’un empoisonnement responsable des causes et symptomes observés. En 1936, elle photographie un zombi pour la première fois, Felicia Felix-Mentor. Hurston affirme que le poison est l’oeuvre de sociétés secrètes vaudou. Dans un contexte historique de ségrégation raciale et en l’absence de preuves suffisantes, son hypothèse est mise de côté. Cela dit son intuition était bonne: le cas Clairvius Narcisse finira par lui donner raison.
Felicia Felix-Mentor, photographiée par Zora Neale Hurston
Lorsque Clairvius Narcisse est arrivé à l’hôpital après sa réapparition, des médecins ont entrepris de comprendre les circonstances de son retour à la vie. Des investigations scientifiques ont révélé que Narcisse avait été empoisonné avec un mélange de substances chimiques, qui contenait entre autres de la tétrodotoxine, une toxine présente dans certains animaux marins.
Effets de la tétrodotoxine :
La tétrodotoxine est connue pour provoquer une paralysie temporaire et un état de mort apparente chez ceux qui la consomment. Elle peut ralentir le rythme cardiaque au point de donner l’impression d’une mort clinique. Dans le cas de Narcisse, il est fort probable que la combinaison de cette toxine avec d’autres produits chimiques ait conduit à son état.
Effets de la zombification :
Les substances toxiques utilisées dans la zombification peuvent avoir des effets dévastateurs sur le corps et l’esprit de la victime. Il faut noter que la “recette” n’est pas unique mais que certains composés reviennent assez souvent. Les poisons peuvent causer une paralysie temporaire, parfois même donner l’apparence de muscles et de peau rongés, induire un état de mort apparente et même altérer la conscience. Dans la mixture (qui est sous forme poudreuse) il y a également du venin de crapaud. Cela dit les conditions d’obtention de ce venin sont particulières car il faut absolument que ce venin provienne d’un crapaud ayant été attaqué par une couleuvre et tué par la rage que cette dernière lui à transmise. Ce poison est à la base d’eruptions cutanées typiques de ces cas de zombification. Ces symptômes contribuent à l’image populaire du zombie, qui est souvent dépeint comme un être apathique, marchant sans but et privé de sa volonté propre.
Impact sur l’imaginaire américain :
Les histoires de zombification haïtiennes ont eu un impact significatif sur l’imaginaire américain, en particulier dans le genre de l’horreur. Pendant la période de l’esclavage, les traditions vaudou africaines ont été transmises par les esclaves noirs en Amérique, où elles ont fusionné avec d’autres croyances et ont influencé la culture locale. Les récits de zombies haïtiens ont progressivement été intégrés à la culture populaire américaine, donnant naissance à des films d’horreur emblématiques mettant en scène des zombies.
En 1929, William Seabrook publie “The magic island”. Ce livre rend les “zombies” populaire auprès du public américain et inspire “White Zombie”, un film ou l’on voit des zombi pour la première fois. D’autres films suivirent et le zombi est devenu un personnage incontournable des films d’horreurs américains.
Répercussions et leçon :
La redécouverte de Clairvius Narcisse a remis en question les croyances en la zombification. Son cas met en évidence l’importance de rechercher des explications scientifiques et rationnelles derrière les phénomènes apparemment surnaturels. Sans son arrivée à l’hôpital et les efforts des professionnels de la santé, l’affaire Narcisse serait restée une preuve présumée de zombification, renforçant ainsi les superstitions.
Conclusion :
L’affaire de Clairvius Narcisse nous rappelle l’importance de démystifier les superstitions et de rechercher des explications rationnelles derrière les phénomènes apparemment surnaturels. Bien que la zombification dans la religion vaudou ait été associée à des pratiques mystérieuses, l’affaire Narcisse démontre que des substances chimiques et des processus médicaux peuvent expliquer ces phénomènes. En comprenant les mécanismes scientifiques et pharmacologiques qui se cachent derrière la zombification, nous pouvons remettre en question les préjugés et les stéréotypes associés à ces croyances.
L’impact culturel de la zombification haïtienne est indéniable. Les récits de zombies ont perduré dans l’imaginaire américain, en particulier dans l’industrie cinématographique. Des films emblématiques tels que “Night of the Living Dead” ont popularisé l’image du zombie tel que perçu dans les histoires haïtiennes de zombification. Cependant, il est essentiel de rappeler que ces représentations sont souvent exagérées et fantaisistes, relevant davantage du divertissement que de la réalité.
En conclusion, l’affaire Clairvius Narcisse offre un exemple fascinant de la manière dont une perspective rationnelle peut éclairer les croyances en la zombification et aux superstitions africaines. En explorant les aspects médicaux et scientifiques derrière ces phénomènes, nous pouvons mieux comprendre et apprécier la richesse culturelle et religieuse de la diaspora noire. Tout en reconnaissant l’influence de ces croyances sur la culture populaire, il est important de séparer la fiction de la réalité et de promouvoir une compréhension nuancée basée sur des preuves tangibles.
Jelpi
SOURCES
En anglais:
Davis, W. (1988). Passage of darkness: The ethnobiology of the Haitian zombie. University of North Carolina Press.
Hines, T. (2009). The zombie handbook: How to identify the living dead and survive the coming apocalypse. Andrews McMeel Publishing.
Winkler, M. (2015). The Haitian zombie: From case study to cultural icon. Gothic Studies, 17(1), 62-77.
Crandon-Malamud, L. (1986). From the witches’ cauldron: The Haitian zombie and its African antecedents. American Ethnologist, 13(2), 367-380.
En Français:
Courlander, H. (1988). Clairvius Narcisse et la zombification. In L’esclavage en Haïti (pp. 244-248). Karthala.
Beauvoir, L. (2004). Clairvius Narcisse, zombi et druides. Archéologie du merveilleux. L’Homme, 169(1), 97-114.
Crandon-Malamud, L. (2002). Clairvius Narcisse et la zombification en Haïti. In Amour, sorcellerie, masculinités, et politiques sexuelles en Haïti (pp. 69-86). Karthala.
Stéphanie, P. (2003). Le cas Clairvius Narcisse et la zombification en Haïti. Les Cahiers d’Outre-Mer, 215(59), 109-120.
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