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La mort n’existe pas : réflexions panafricaines entre spiritualités africaines et science

La mort.
Un mot si court et pourtant si lourd. Elle déstabilise, bouleverse, nous arrache à nos certitudes. Lorsque la perte frappe, comme elle m’a frappé à la veille de l’entame de la redaction de cet article en m’emportant ma mère, je réalise combien notre rapport à la mort peut être façonné par nos croyances, nos cultures, et notre façon de donner du sens à la vie.
Africain et athée, je me tiens à une croisée des chemins : entre les récits spirituels du continent et les réponses parfois froides mais lucides de la science.
La mort est universelle, mais son interprétation est profondément culturelle. En Afrique, elle est bien plus qu’une fin : elle est une transition, un passage, une continuité.
Pourtant, face aux bouleversements apportés par la modernité, les influences extérieures et nos propres réflexions personnelles, notre rapport à la mort évolue. Comment concilier les traditions africaines, l’impact des religions importées, la quête de justice pour les morts oubliés, et les perspectives modernes de deuil et de résilience ?
Cet article se veut une exploration de ces questions, dans l’espoir de mieux comprendre ce que signifie mourir et vivre, en tant qu’Africain. Il est autant une réflexion qu’une tentative d’apaisement, pour moi et peut-être pour ceux qui, comme moi, affrontent ce vertige.

La mort dans les spiritualités africaines : une transformation, pas une fin

En Afrique, la mort n’est pas un point final mais une virgule dans une histoire infinie. « Les morts ne sont pas morts », dit un célèbre proverbe africain. Ils continuent de vivre dans l’arbre qui frémit, dans le vent qui caresse, dans le souffle des générations futures. Cette idée, partagée par de nombreuses cultures africaines, transcende l’individu.

Chez les Dogons du Mali, la mort est une étape cosmique. À travers des rites complexes, les âmes des défunts sont guidées vers leur nouvelle place dans l’univers. Ce n’est pas seulement un acte de foi, mais une manière de maintenir l’harmonie entre le monde des vivants et celui des esprits.

Les Akan du Ghana célèbrent les morts par des funérailles grandioses, véritables ponts entre les générations. La fête n’est pas seulement pour le défunt, mais pour les vivants, une manière de rappeler que l’âme continue de veiller sur eux. Ces rituels soulignent une vérité profonde : dans les spiritualités africaines, la mort est une présence, pas une absence.

Ces pratiques révèlent une philosophie profonde : la mémoire collective est un acte de résistance contre l’oubli. Dans chaque famille, chaque communauté, les ancêtres sont présents, non pas comme des fantômes, mais comme des repères. Leur histoire, leurs combats, leurs enseignements vivent à travers nous.

La mort dans l’art africain : un langage universel

Cette continuité trouve un écho dans l’art africain. Les masques funéraires, souvent sculptés pour représenter les ancêtres, incarnent cette idée que les morts vivent parmi nous, dans nos gestes, nos mots, et même nos rêves.

L’art africain, qu’il soit traditionnel ou contemporain, a toujours offert une manière unique de parler de la mort. Les masques funéraires, les sculptures d’ancêtres ou les peintures rituelles ne sont pas de simples objets esthétiques. Ils incarnent cette idée que la mort est une transformation, un passage.

Dans l’art contemporain, des artistes africains comme El Anatsui ou Wangechi Mutu interrogent la mémoire, le deuil, et l’identité à travers des œuvres qui dialoguent avec le passé tout en regardant vers l’avenir. L’art devient alors un espace où les morts et les vivants peuvent se rencontrer, où les questions existentielles trouvent une résonance émotionnelle.

L’impact des religions monothéistes sur les traditions funéraires africaines

Avec l’arrivée du christianisme et de l’islam, de nombreuses traditions africaines autour de la mort ont été bouleversées. Ces religions, axées sur la promesse d’un au-delà, ont redéfini la manière dont les Africains perçoivent la mort.

Là où les spiritualités traditionnelles célébraient la continuité ici-bas, les monothéismes ont souvent imposé une vision dualiste : le paradis pour les justes, l’enfer pour les pécheurs. Cela a parfois effacé les pratiques locales, étiquetées comme “païennes” ou “hérétiques”. Pourtant, malgré cette influence, de nombreux Africains continuent de marier les deux mondes, intégrant les rites religieux aux pratiques ancestrales.

Mais cette imposition culturelle pose une question essentielle : avons-nous perdu quelque chose de fondamental en acceptant ces visions importées ?

La mort comme moteur du panafricanisme

Certaines morts transcendent l’individu pour devenir des symboles. Les assassinats de figures comme Patrice Lumumba, Thomas Sankara ou Steve Biko ont galvanisé des mouvements entiers. Leurs idées ont survécu à leur disparition, alimentant les luttes panafricaines pour la justice et la liberté.

Dans cet héritage, la mort devient un appel à l’action, une invitation à poursuivre les combats laissés inachevés. Pour les panafricanistes, honorer les martyrs n’est pas qu’un acte de mémoire : c’est une responsabilité envers l’avenir.

Les inégalités face à la mort : qui pleure les oubliés ?

Dans un monde marqué par des injustices criantes, la mort elle-même reflète les inégalités. Les funérailles somptueuses des élites contrastent avec les enterrements modestes des pauvres, et les morts anonymes des guerres, des migrations ou de la pauvreté sont souvent oubliés.

En Afrique, ces morts anonymes sont une plaie ouverte : esclaves noyés dans l’Atlantique, martyrs des indépendances, migrants disparus dans les déserts ou les mers. Honorer leur mémoire, c’est refuser leur effacement de l’histoire.

Comment bâtir une Afrique qui réhabilite ces morts, qui leur redonne une voix et une place dans nos récits collectifs ?

Créer de nouveaux rituels pour l’ère moderne

Aujourd’hui, les Africains urbains ou de la diaspora sont confrontés à un défi unique : comment maintenir un lien avec leurs traditions dans un monde individualiste et globalisé ? Les réseaux sociaux deviennent parfois des espaces de mémoire, où les morts sont honorés à travers des hommages virtuels.

Mais ces pratiques modernes peuvent-elles remplacer les rituels ancestraux, qui offrent une dimension communautaire et spirituelle ? Peut-être qu’il serait temps d’inventer de nouveaux rituels, mêlant tradition et modernité, pour honorer nos morts tout en s’adaptant à nos réalités contemporaines.

Une perspective scientifique : la mort comme transformation matérielle

Si les spiritualités africaines voient la mort comme une transformation spirituelle, la science y voit une transformation matérielle. Carl Sagan écrivait : « Nous sommes faits de poussière d’étoiles. » À travers cette idée, la science nous rappelle que notre corps, nos atomes, retournent à la Terre, à l’univers. Ce qui meurt nourrit ce qui naît.

Le cerveau, ce chef-d’orchestre complexe, s’éteint progressivement à la mort, mais les chercheurs ont découvert que certaines fonctions persistent encore quelques minutes après l’arrêt du cœur. Ce phénomène, étudié dans des articles scientifiques récents, donne à réfléchir : même dans la mort, il y a une continuité. Plus qu’un moment, c’est un processus.

En tant qu’athée, je ne crois pas en une âme immortelle, mais il est réconfortant de penser que rien ne disparaît totalement. Les souvenirs que ma mère m’a laissés, les valeurs qu’elle incarnait, se prolongent en moi et dans ceux qu’elle a touchés.

De la douleur au sens : vivre le deuil en tant qu’athée

Être athée face à la mort est une expérience particulière. Il n’y a pas ce refuge offert par la croyance en un au-delà, en une éternité bienveillante. Pourtant, cela ne devrait jamais être considéré comme une faiblesse. L’absence de promesse d’un paradis rend la douleur brutale, mais elle lui donne aussi une authenticité unique.

Le deuil devient alors un acte de mémoire. C’est dans les souvenirs, les gestes, et les enseignements que l’on fait revivre ceux que l’on a perdus. Pour moi, écrire cet article est une manière de garder ma mère vivante dans mes mots.

Mais pas que…

Écrire cet article est aussi une manière d’honorer son heritage et de parler au monde de la personne qu’elle à été.
Son héritage c’est aussi celui des initiatives socio-économiques qu’elle a initiée et qu’en tant qu’enfants nous nous tachons de perpétuer et de pérenniser: C’est celui de multiples initiatives telles que des écoles, des businesses, des fermes ou encore des plantations;
C’est celui de la lutte pour la place de la femme dans nos sociétés;
C’est celui de l’aide aux plus démunis et pour finir, c’est celui de la mise en avant de l’excellence africaine.

Toutes ces initiatives témoignent de l’engagement et de la determination qui était sienne à améliorer les conditions de vie des communautés africaines en general et en particulier des plus démunis.
Ces combats seront repris par la génération d’après et avec un peu de chance, par celle d’après et ainsi de suite.

Un dialogue entre spiritualité et science

Que peut-on tirer de ces deux visions ? La spiritualité africaine nous enseigne la continuité de l’existence, que ce soit dans l’arbre qui pousse ou dans la communauté des vivants. La science, elle, nous rappelle que nous faisons partie d’un tout plus vaste, un cycle universel où rien ne se perd.

Pour un Africain moderne, la question n’est pas de choisir entre ces deux visions, mais de les réconcilier. La culture africaine regorge d’enseignements sur l’interconnexion, sur la mémoire collective, sur le fait que la mort d’un individu ne signifie jamais la fin de son impact.

Un hommage et une invitation

La mort, qu’elle soit vue comme un passage spirituel ou une transformation matérielle, nous force à réfléchir à la vie elle-même. Elle nous rappelle notre finitude, mais aussi notre capacité à laisser une empreinte.

En tant qu’Africain, je crois que notre continent a des leçons uniques à offrir au monde : un rapport à la mort qui privilégie la mémoire, la communauté et la transmission. Et si, finalement, la mort n’était pas une absence, mais une autre manière d’exister ?

En perdant ma mère, j’ai compris que la mort, bien qu’inévitable, est une leçon. Elle nous force à ralentir, à écouter, à ressentir. En Afrique, on dit que « Tant que quelqu’un se souvient de toi, tu es toujours en vie. »

Je ne sais pas si la mort (comprise dans un sens de disparition complète) existe vraiment.
Mais je sais que, grâce à ce qu’elle m’a transmis, ma mère est toujours ici, dans mes choix, mes combats, mes espoirs.
Elle est dans le sourire et la reconnaissance des gens qu’elle à impacter de par sa générosité.
Son fantôme est omniprésent dans nos réalités quotidienne.

Je ne sais pas si écrire ce texte m’aide réellement. Je ne sais pas si il y a une bonne manière de traverser l’absence. Je ne sais même pas si c’est réellement possible.

Quoiqu’il en soit

Et vous ? Comment choisissez-vous de traverser l’absence ? Peut-être que la réponse réside dans un équilibre : pleurer, célébrer, et transformer ce vide en une force. Après tout, la mort n’est peut-être qu’une porte qui s’ouvre sur une autre manière d’exister.


En hommage à la plus belle personne qu’il m’ai été donné la chance de rencontrer,
Ma mère,
Mariama Camara épouse Fernandez

Au nom de ton cher mari, de ton fils adoré, Jean-Gerard et de la femme bâtante que deviens ta Marie-Angelique,
Ton Jean-Louis.

SOURCES POUR APPROFONDIR

  1. Spiritualités africaines et la mort
    • John S. Mbiti, African Religions & Philosophy (1969)
    → Une œuvre clé sur les croyances africaines, expliquant notamment la vision du temps et des ancêtres.
    • Cheikh Anta Diop, Civilisation ou barbarie (1981)
    → Diop parle des liens entre l’Afrique ancienne et les traditions spirituelles modernes.
    • Marcel Griaule, Dieu d’eau : Entretiens avec Ogotemmêli (1948)
    → Une étude fascinante sur la cosmologie dogon et leur vision de la vie et de la mort.
    • Sobonfu Somé, The Spirit of Intimacy: Ancient Teachings in the Ways of Relationships (1999)
    → Une réflexion sur le rôle des ancêtres et les pratiques funéraires chez les Dagara du Burkina Faso.
  2. Impact du christianisme et de l’islam sur les traditions africaines
    • Ali Mazrui, The African Condition (1980)
    → Une analyse du choc des civilisations et de l’impact des religions abrahamiques sur l’Afrique.
    • Jacob K. Olupona, African Religions: A Very Short Introduction (2014)
    → Un regard concis mais percutant sur la rencontre entre traditions africaines et religions monothéistes.
    • Sylviane Diouf, Servants of Allah: African Muslims Enslaved in the Americas (1998)
    → Un aperçu de la manière dont l’islam a influencé les traditions africaines, y compris en matière de rites funéraires.
  3. La mort dans l’art et la culture africaine
    • Frank Willett, African Art: An Introduction (1971)
    → Explique comment l’art africain symbolise le passage entre la vie et la mort.
    • Rowland Abiodun, Yoruba Art and Language: Seeking the African in African Art (2014)
    → Exploration des masques et sculptures funéraires dans la culture Yoruba.
    • Mary Nooter Roberts et Allen F. Roberts, Memory: Luba Art and the Making of History (1996)
    → Étude sur la mémoire et l’histoire dans les rites funéraires et l’art des Luba (RDC).
  4. Approche scientifique et philosophique de la mort
    • Ernest Becker, The Denial of Death (1973)
    → Un classique sur la peur de la mort et la manière dont les sociétés construisent des récits pour l’appréhender.
    • Yuval Noah Harari, Homo Deus: A Brief History of Tomorrow (2015)
    → Une réflexion sur l’évolution de notre rapport à la mort à travers la technologie et la science.
    • Philippe Ariès, L’Homme devant la mort (1977)
    → Une analyse historique et sociologique du rapport humain à la mort.
    • Stephen Cave, Immortality: The Quest to Live Forever and How It Drives Civilization (2012)
    → Un livre fascinant sur les différentes stratégies humaines pour défier la mort.
  5. La mémoire et l’héritage des figures panafricaines mortes pour la cause
    • Amzat Boukari-Yabara, Africa Unite! Une histoire du panafricanisme (2014)
    → Décrit comment les figures du panafricanisme continuent d’influencer les générations actuelles.
    • Kwame Nkrumah, Consciencism: Philosophy and Ideology for Decolonization (1964)
    → Une réflexion sur l’héritage des leaders africains et la continuité de leurs idées après leur mort.
    • Assassinat de Lumumba, Ludo De Witte (1999)
    → Un livre qui documente l’impact de la mort de Lumumba sur l’histoire africaine.
    • Thomas Sankara : L’espoir assassiné, Bruno Jaffré (1997)
    → Une biographie qui montre comment la mort de Sankara est devenue un symbole de lutte.
  6. La mort et les injustices mémorielles
    • Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit (2010)
    → Sur l’effacement des mémoires et la nécessité de réhabiliter les oubliés de l’histoire.
    • W.E.B. Du Bois, The Souls of Black Folk (1903)
    → Un regard sur la mémoire des esclaves africains et leur oubli dans l’histoire occidentale.
    • Paul Gilroy, The Black Atlantic (1993)
    → Montre comment la mémoire de la traite négrière continue de façonner l’identité noire.
  7. La mort dans les sociétés contemporaines africaines
    • Jean-Pierre Dozon, Frères et Sujets : La France et l’Afrique en perspective (2003)
    → Étudie les rituels funéraires en Afrique urbaine et l’impact de la mondialisation.
    • Richard P. Werbner (éd.), Memory and the Postcolony: African Anthropology and the Critique of Power (1998)
    → Sur la manière dont la mémoire des morts structure les sociétés africaines modernes.

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Un commentaire

  1. J’ai vraiment adoré ton article, c’était magnifique et ça m’a beaucoup fait réfléchir. Je suis certaine que ta mère serait super fière de toi. Pour ma part, j’ai jamais vraiment fait le deuil de mon grand-père par exemple. Je me surprends encore à pleurer son absence, même s’il est décédé quand j’étais en seconde. Je choisis d’utiliser sa mort comme une motivation dans mes projets. Pareil pour ma grand-mère l’année dernière. Ça m’a juste rappelé qu’on est en vie que tout le monde va mourir un jour et ça m’a poussée à foncer pour réaliser ce que j’aime. Aujourd’hui je réalise enfin des choses que j’aurais peut-être fait dans 2-3 ans. Je crois qu’on ne gère jamais l’absence de la même manière et que ça dépend vraiment des jours. Parfois comme tu l’as dit, ça pèse énormément et d’autres fois ça fait juste partie de nous. Je pense qu’il faut trouver l’équilibre, même si ça peut prendre du temps. La mort pour moi, me rappelle que je suis vivante et que je vais partir aussi, mais ce qui compte c’est de vivre pleinement en honorant leur mémoire, en réalisant nos rêves et peut-être même en terminant ce qu’ils ont commencé.

    Vraiment, super article ! Tu écris vraiment bien et ton travail mérite d’être lu.

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