Le Papyrus Rhind et l’héritage scientifique de l’Égypte antique
L’héritage d’Imhotep en tant que précurseur de la science et de l’ingénierie a souvent été magnifié, et à juste titre, dans l’histoire des civilisations anciennes. Mais si l’on cherche à comprendre de manière plus approfondie la contribution de l’Égypte ancienne à la science, il est crucial de se tourner également vers des artefacts et des documents historiques comme le Papyrus Rhind, l’un des témoins les plus importants du génie mathématique et scientifique de l’Égypte antique. Ce papyrus, rédigé autour de 1650 avant notre ère, n’est pas qu’une simple curiosité historique ou un symbole mystique. Il représente une véritable mine d’informations scientifiques et mathématiques qui illustre les principes de la science égyptienne : une science empirique, rationnelle et systématique, dans la continuité de l’héritage d’Imhotep.
Le Papyrus Rhind est un document essentiel qui expose des pratiques mathématiques avancées utilisées par les anciens Égyptiens, notamment dans les domaines de l’arithmétique, de la géométrie, de la mesure de surfaces et de la résolution de problèmes pratiques. Cet article explore en détail les connaissances contenues dans ce papyrus, en les mettant en perspective avec la distinction essentielle entre science et spéculation, et en montrant que l’héritage véritable de l’Égypte antique, comme celui d’Imhotep, repose dans une démarche scientifique rigoureuse et non dans la mystification ou la spéculation.
1. Le Papyrus Rhind : Un manuel pratique de mathématiques appliquées
a) Qu’est-ce que le Papyrus Rhind ?
Le Papyrus Rhind est un manuscrit mathématique datant d’environ 1650 avant J.-C., bien qu’il soit basé sur des travaux plus anciens, probablement vers 1800 avant J.-C. Il a été découvert par l’égyptologue Alexander Rhind en 1858 à Thebes (dans l’Égypte supérieure) et est maintenant conservé au British Museum sous le numéro BM 10057.
Ce papyrus est une copie d’un texte beaucoup plus ancien (probablement un manuel de mathématiques écrit sous le règne du pharaon Amenemhat II de la XIIe dynastie). Il comprend des tables, des calculs et des problèmes mathématiques qui montrent les pratiques et méthodes utilisées pour des calculs, la géométrie, les fractions, et les mesures de surface.
Le Papyrus Rhind (également connu sous le nom de Papyrus de Rhind ou Papyrus des mathématiques égyptiennes) est un recueil de problèmes et de solutions mathématiques, principalement des problèmes de division, de calculs de surfaces et de volumes. Il a été rédigé par Ahmes, un scribe égyptien, qui a transcrit et compilé un ensemble de pratiques mathématiques plus anciennes. Ce document est une sorte de manuel de mathématiques destiné à former les jeunes scribes et à leur fournir les outils nécessaires pour résoudre les problèmes pratiques qui se posaient dans la vie quotidienne, notamment dans les domaines de l’agriculture, de la construction et de la comptabilité.
Contrairement à d’autres cultures anciennes où les mathématiques étaient parfois liées à des spéculations mystiques ou astrologiques, l’approche égyptienne du papyrus Rhind est résolument pratique et fonctionnelle. Loin de chercher à comprendre les mystères cosmiques ou à s’adonner à des conjectures métaphysiques, les mathématiques égyptiennes, comme l’ont montré le papyrus Rhind et d’autres documents, étaient orientées vers la résolution de problèmes concrets. Les anciens Égyptiens utilisaient les mathématiques pour organiser la société, calculer les surfaces de terres agricoles, gérer les stocks de récoltes, bâtir des pyramides et des temples, et effectuer des échanges commerciaux.
b) Contenu du Papyrus Rhind
Le papyrus est composé de 87 sections et couvre une large gamme de sujets mathématiques :
- Les fractions : Le papyrus détaille des fractions unitaires, une caractéristique majeure de la notation fractionnaire égyptienne, dans laquelle toutes les fractions étaient écrites sous forme de somme de fractions unitaires (fractions dont le numérateur est 1).
- Les calculs de surface : Des méthodes pour calculer la surface de différentes figures géométriques (comme les rectangles, les triangles, et les cercles) sont également présentes.
- Les multiplications et divisions : Les Égyptiens utilisaient des méthodes de multiplication et de division basées sur l’addition répétée et la soustraction. Le papyrus contient des algorithmes pour les multiplications et les divisions complexes.
- Les problèmes pratiques : Le papyrus présente des problèmes mathématiques qui pourraient être rencontrés dans la vie quotidienne, comme la division d’un champ, le calcul du volume de céréales, ou encore des distributions de pain.
- Les racines carrées : Il contient des approximations de racines carrées et des méthodes pour les calculer, notamment pour les valeurs comme 2\sqrt{2}.
2. Les méthodes de calculs : Une démonstration de la rigueur scientifique
a) Les méthodes de multiplication et de division
Les Égyptiens utilisaient une méthode appelée multiplication par doublement et division par coupure pour effectuer leurs calculs :
- Multiplication : Au lieu d’utiliser la multiplication classique moderne, les anciens Égyptiens utilisaient des doublages successifs. Par exemple, pour multiplier 23×1223 \times 12, ils doublaient progressivement 2323 et associaient ces doublages avec des puissances de 2 pour obtenir le résultat.
- Division : De même, pour diviser, les Égyptiens appliquaient une méthode basée sur des divisions successives en réduisant le problème à des calculs plus simples, souvent en utilisant des fractions unitaires.
b) Le Papyrus Rhind et la notation des fractions
L’un des aspects les plus fascinants du Papyrus Rhind est la manière dont les anciens Égyptiens abordaient le calcul des fractions. En effet, contrairement aux civilisations modernes qui utilisent un système décimal basé sur les puissances de 10, les Égyptiens utilisaient principalement des fractions unitaires, c’est-à-dire des fractions dont le numérateur est toujours égal à 1 (par exemple, 1/2, 1/3, 1/4, etc.). Ces fractions unitaires étaient souvent utilisées pour diviser des quantités en parts égales, que ce soit dans le cadre des récoltes, de la distribution des biens ou des sacrifices.
Le papyrus Rhind contient plusieurs exercices qui montrent comment les Égyptiens résolvaient des problèmes impliquant des fractions unitaires. Par exemple, un problème typique de ce papyrus pourrait demander comment diviser une quantité donnée (par exemple, 2/3) en une somme de fractions unitaires. Ce genre de calcul n’était pas simplement une curiosité théorique, mais un outil pratique dans la gestion quotidienne. Les Égyptiens avaient besoin de ces fractions pour gérer les rations alimentaires, les impôts en nature, et les projets de construction de grande envergure.
Ce système de fractions unitaires montre une approche méthodique et systématique qui relève d’une pratique scientifique. Plutôt que de s’adonner à des spéculations théoriques ou mystiques, les mathématiciens égyptiens ont conçu un ensemble de règles précises et efficaces pour résoudre des problèmes de la vie réelle. Si Imhotep était un pionnier dans le domaine de l’ingénierie, Ahmes, en s’appuyant sur la tradition d’Imhotep, incarnait cet esprit scientifique pratique, appliquant des principes mathématiques à des tâches concrètes.
3. Géométrie et mesures : La quête de la précision
Le papyrus contient également des exemples de géométrie pratique, en particulier pour calculer des surfaces et des volumes :
- Calcul de l’aire d’un rectangle : L’aire d’un rectangle était calculée en multipliant sa longueur par sa largeur.
- Calcul de l’aire d’un cercle : Une approximation célèbre pour le calcul de l’aire d’un cercle est trouvée dans le papyrus, qui donne une valeur proche de 25681\frac{256}{81} pour la valeur de π\pi, soit environ 3.16, une approximation assez précise.
- Calcul de volumes : Le papyrus contient également des problèmes sur le calcul des volumes de différents solides, comme des pyramides et des cylindres.
L’une des autres grandes réussites donc du papyrus Rhind réside dans la manière dont il expose les principes géométriques utilisés par les Égyptiens pour calculer les surfaces et les volumes, notamment dans le cadre de la construction. L’Égypte antique, avec ses projets colossaux de construction de pyramides, de temples et de monuments, nécessitait des connaissances avancées en géométrie, en particulier pour mesurer des surfaces irrégulières, des volumes de matériaux de construction, et pour calculer les angles et les pentes des pyramides.
Un exemple typique tiré du papyrus est la méthode employée pour calculer l’aire d’un cercle. Bien que le concept de pi n’ait pas encore été formulé dans sa forme moderne, les Égyptiens avaient une estimation approximative de cette constante, utilisant une valeur de 3,16 pour effectuer des calculs pratiques. Cette estimation est utilisée pour déterminer des aires circulaires, ce qui était indispensable pour concevoir des structures rondes, comme les bases de certaines pyramides ou des silos à grain. Les Égyptiens connaissaient également des techniques pour calculer les volumes de cylindres, essentiels pour estimer le nombre de pierres nécessaires à la construction d’une pyramide ou d’un obélisque.
Ce genre de géométrie, axé sur l’application pratique des principes mathématiques à la construction, représente un exemple frappant de science appliquée dans le monde antique. C’est cette même quête de précision qui est à la base des travaux d’Imhotep. La géométrie égyptienne était utilisée pour obtenir des résultats mesurables, fiables et reproductibles, en parfaite harmonie avec la vision rationnelle et systématique qui caractérisait la science en Égypte antique.
4. Spéculation vs Science dans le Papyrus Rhind
a) Le Papyrus Rhind et la Science
Le Papyrus Rhind est un excellent exemple des connaissances scientifiques appliquées de l’Égypte ancienne, en particulier en matière de mathématiques pratiques et de géométrie. Bien que l’Égypte ancienne ne faisait pas la distinction moderne entre science et spéculation, ce document montre une approche rationnelle et empirique de la résolution des problèmes du quotidien.
Le Papyrus Rhind ne traite pas de spéculation mystique ou de croyances ésotériques. Au contraire, il présente des méthodes mathématiques concrètes, fondées sur des observations pratiques et des calculs précis. Les problèmes sont résolus à l’aide de techniques empiriques, basées sur des principes mathématiques que les Égyptiens ont probablement testés et affinés au fil du temps.
Cela contraste fortement avec d’autres aspects de la culture égyptienne ancienne, où des croyances religieuses et mystiques jouaient un rôle prépondérant. Par exemple, la médecine ou dans certains cas les rituels religieux pouvaient mêler des éléments pratiques et des éléments plus spirituels, ce qui aurait été considéré comme de la spéculation. Mais dans le cas des mathématiques, le Papyrus Rhind représente une forme de science empirique, axée sur des applications pratiques dans la vie quotidienne (calculs agricoles, répartition des ressources, construction, etc.).
b) Une science empirique, non mystique
Il est important de souligner que, bien que le Papyrus Rhind soit un texte rédigé dans une culture profondément religieuse, les mathématiques et les sciences pratiquées par les Égyptiens étaient d’une nature purement empirique. Contrairement à d’autres traditions antiques où la mathématique et l’astronomie étaient souvent utilisées pour justifier des croyances mystiques ou pour prédire l’avenir, les Égyptiens considéraient les mathématiques comme un outil pour résoudre des problèmes pratiques. Ce n’était pas une quête de mystère cosmique ou de vérité occulte, mais un processus méthodologique destiné à améliorer les conditions de vie sur Terre.
Le papyrus Rhind, tout comme les travaux d’Imhotep dans le domaine de l’architecture et de la médecine, démontre l’esprit de la science rationnelle et empirique qui animait l’Égypte antique. Les Égyptiens scientifiques n’étaient pas intéressés par la spéculation abstraite mais par des solutions concrètes, mesurables et applicables aux défis pratiques de la vie quotidienne.
5. Conclusion : Un héritage de savoir-faire scientifique
Le Papyrus Rhind est l’un des témoignages les plus importants des connaissances scientifiques de l’Égypte ancienne. Il montre que les anciens Égyptiens possédaient des techniques mathématiques avancées et les utilisaient de manière systématique et pratique. Cela nous aide à mieux comprendre que, loin d’être une simple spéculation mystique, l’Égypte ancienne avait une science rationnelle qui a contribué au développement des civilisations humaines. Ce papyrus est une sorte de manuel pratique qui servait d’instruction pour les scribes et les érudits de l’époque.
Il constitue un témoignage précieux de l’engagement des anciens Égyptiens à rechercher la vérité par des méthodes rationnelles et mesurables. Cet héritage, loin d’être une quête mystique ou spéculative, repose sur des pratiques scientifiques fondées sur l’observation, l’expérience et la résolution de problèmes concrets. Si Imhotep serait fier de voir son nom associé à la poursuite de la science, il serait également ravi de savoir que ses contemporains, comme Ahmes, ont continué à cultiver l’esprit de rigueur scientifique qu’il incarnait.
Ainsi, l’héritage scientifique de l’Égypte antique, comme celui d’Imhotep, n’est pas une collection de mystères ésotériques, mais un véritable trésor de savoir-faire qui a permis à cette civilisation de prospérer et de laisser une empreinte durable dans l’histoire de l’humanité. Si nous voulons rendre hommage à ce passé brillant, il est essentiel de le faire en reconnaissant la véritable science qui se cache derrière les grandes réalisations des anciens Égyptiens, loin des spéculations modernes et mystiques qui brouillent parfois cette riche tradition.
Sources
Pour approfondir le sujet
- “The Rhind Mathematical Papyrus: A New Translation and Commentary” de Richard J. Gillings (1972)
- Source : The Rhind Mathematical Papyrus
- “Mathematics in Ancient Egypt” de Luke Howard (2005)
- Source : Mathematics in Ancient Egypt
- “The Papyrus Rhind: A New Translation” de B. G. P. Baldwin (1982)
- Source : The Papyrus Rhind
- Encyclopédie Larousse : Article sur le papyrus Rhind
- Wikipédia : Page sur le papyrus Rhind
- “Le Papyrus d’Ahmès : les mathématiques africaines” (Anyjart Edition) Sylvia Couchoud et autres
- “L’arithmétique en Afrique noire pharaonique” (article académique) Ahmed Djebbar
- “Apport de l’Afrique à la civilisation universelle” Modibo Diarra et autres
- “Le Grand Roman Des Maths de La Prehistoire A Nos Jours” Jean-Pierre Tanguy et autres
- Math93 : Article détaillé sur le papyrus de Rhind
- IREM (Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques) : Édition critique du Papyrus Rhind
- Académie d’Aix-Marseille : Le papyrus de RHIND
- IREM de Lille : Journées académiques 2020
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