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Le rastafarisme : un abrahamisme noir souvent occulté

Le rastafarisme est un mouvement religieux et culturel qui a émergé en Jamaïque au début du XXe siècle. Souvent associé à la musique reggae et à des personnalités emblématiques telles que Bob Marley, le rastafarisme est souvent perçu comme un mouvement marginal ou simplement comme une sous-culture. Cependant, peu de gens réalisent que cette religion noire a des racines profondes dans les traditions abrahamiques et une vision unique du monde spirituel. Dans cet article, nous explorerons les aspects méconnus du rastafarisme, en mettant l’accent sur la prophétie de Marcus Garvey concernant Hailé Sélassié, les racines abrahamiques de la religion, l’utilisation du Kebra Nagast et la théorie des Hébreux noirs. Nous aborderons également l’incorporation croissante de concepts kémites dans la pratique rasta.

La prophétie de Marcus Garvey concernant Hailé Sélassié:

Marcus Garvey, leader du mouvement panafricain à l’aube du XXe siècle, a joué un rôle significatif dans l’émergence du rastafarisme. Garvey a prophétisé qu’un roi noir serait couronné en Afrique, ce qui a été interprété par de nombreux rastas comme la couronne donnée à Hailé Sélassié Ier d’Éthiopie en 1930. Cette prophétie a renforcé la croyance en la lignée prophétique de Sélassié parmi les rastas et a jeté les bases de leur vénération pour lui en tant que messie noir. Elle a également inspiré un sentiment de fierté et d’espoir au sein de la communauté rasta, en affirmant la possibilité de la libération et de la dignité pour les peuples noirs.

Les racines “abrahamiques” du rastafarisme:

Le rastafarisme puise ses racines dans les traditions abrahamiques, qui comprennent le judaïsme, le christianisme et l’islam. Les rastas voient Hailé Sélassié comme une réincarnation de Jésus-Christ et le considèrent comme une figure messianique. Cette croyance découle de l’interprétation de certains passages bibliques, tels que ceux du Livre de l’Apocalypse, qui font référence à un lion de la tribu de Juda. Les rastas considèrent Sélassié comme étant issu de cette tribu et donc comme le lion conquérant qui apportera la justice et la rédemption aux opprimés.

Les rastas interprètent également l’Ancien Testament de la Bible d’une manière afrocentrique, identifiant les Hébreux bibliques comme des ancêtres noirs et revendiquant une connexion spirituelle avec eux. Ils affirment que l’histoire des Hébreux a été déformée et occultée par des puissances coloniales, ce qui a conduit à la marginalisation et à l’oppression des populations noires. Par conséquent, le rastafarisme représente une résistance et une réappropriation culturelle qui cherche à restaurer l’identité supposée originelle des populations noires ayant fait la “traversée”.

Le Kebra Nagast et la réappropriation des textes bibliques:

Le Kebra Nagast, également connu sous le nom de “Gloire des Rois”, est un texte religieux éthiopien qui joue un rôle crucial dans le rastafarisme. Il raconte l’histoire de la reine de Saba et du roi Salomon, et affirme que leur union a engendré une lignée royale qui mène finalement à Jésus-Christ. Les rastas considèrent ce texte comme sacré et l’utilisent comme preuve de l’importance de l’Éthiopie et de leur propre identité spirituelle.

Le Kebra Nagast a joué un rôle essentiel dans la réappropriation des textes bibliques par les rastas. En intégrant ce texte dans leur liturgie et leur interprétation de la Bible, ils se connectent à une histoire afrocentrique et établissent un lien avec l’ancienne royauté éthiopienne. Cela renforce leur conviction en la légitimité de leur mouvement et en l’importance de l’Afrique dans la spiritualité.

Nous ferons un article sur les origines du christianisme ethiopien, qui est l’un des plus vieux au monde, et parlerons de l’eglise axoumite ainsi que du Kebra Nagast un peu plus en détails

La théorie des Hébreux noirs et l’identité rasta:

Une autre croyance centrale dans le rastafarisme est la théorie selon laquelle les Hébreux bibliques étaient en réalité des Noirs. Les rastas soutiennent cette idée en s’appuyant sur des arguments historiques, anthropologiques et bibliques. Ils affirment que les Hébreux étaient originaires d’Afrique et que leur histoire a été occultée ou réécrite pour effacer leur identité noire.

Selon les rastas, cela représente une injustice et une négation de la contribution africaine à l’histoire biblique. Ils soulignent des similitudes culturelles et spirituelles entre les traditions hébraïques et africaines, comme les pratiques de l’adoration de Dieu, l’importance de la musique et de la danse, et les rituels de purification.

La théorie des Hébreux noirs renforce leur sentiment de connexion avec les ancêtres bibliques et alimente leur fierté et leur affirmation d’une identité africaine. Elle représente également une remise en question des narratifs dominants sur l’histoire et la spiritualité, permettant aux rastas , selon eux, de se réapproprier leur patrimoine culturel et de s’affirmer en tant que peuple.

Le lien entre le rastafarisme et le panafricanisme:

Le rastafarisme entretient un lien étroit avec le mouvement panafricain, une idéologie qui promeut l’unité et l’émancipation des peuples africains à travers le monde. Les deux mouvements partagent des objectifs similaires et ont été influencés par des figures clés telles que Marcus Garvey.

Le panafricanisme encourage la solidarité et la prise de conscience de l’identité africaine, tout en luttant contre le racisme, le colonialisme et l’oppression. Le rastafarisme partage ces aspirations en affirmant la dignité et la fierté africaines, en appelant à la libération de la diaspora africaine et en mettant l’accent sur l’autonomie et la souveraineté de l’Afrique.

Les rastas considèrent l’Éthiopie comme un symbole de l’unité africaine et comme une terre sacrée. Ils voient en Hailé Sélassié Ier, l’ancien empereur éthiopien, un leader panafricain qui a incarné l’indépendance et la résistance face à la colonisation. La couronnement de Sélassié en tant que Négus d’Éthiopie a été perçu par les rastas comme un événement historique marquant la réalisation de la prophétie de Marcus Garvey.

Le rastafarisme a également joué un rôle actif dans la promotion du panafricanisme, en participant à des mouvements sociaux et politiques visant à défendre les droits des populations noires et à établir une conscience africaine globale. Les rastas ont contribué à la diffusion de la culture africaine à travers la musique reggae, qui est devenue un véhicule puissant pour les messages de résistance, de justice sociale et d’unité.

La connexion entre le rastafarisme et le panafricanisme a renforcé la vision politique et sociale du mouvement, en favorisant la collaboration avec d’autres mouvements de libération et en développant une conscience collective de la lutte contre l’oppression et l’injustice.

L’intégration de concepts kémites dans la pratique rasta:

De plus en plus de rastas exposés à la pensée kémite, qui fait référence à l’ancienne civilisation égyptienne, commencent à intégrer ses concepts dans leur pratique religieuse. Ils puisent dans la sagesse et les symboles de l’Égypte ancienne, tels que la croix ansée (ankh), pour enrichir leur compréhension du divin et de la spiritualité.

La croix ansée, un symbole égyptien antique représentant la vie éternelle, est de plus en plus visible aux côtés des symboles classiques du rastafarisme, tels que la lionne, le drapeau éthiopien ou les dreadlocks. Cette intégration reflète la volonté des rastas d’explorer et d’incorporer des éléments culturels africains dans leur pratique religieuse. La croix ansée représente la vie, la fertilité et la résurrection, des concepts qui résonnent profondément avec la spiritualité rasta.

En adoptant la croix ansée, les rastas cherchent à embrasser une vision plus holistique de la spiritualité africaine, en fusionnant les enseignements abrahamiques avec les traditions ancestrales de l’Afrique. Cette intégration de concepts kémites témoigne d’une évolution et d’une ouverture d’esprit au sein du mouvement rasta, qui se nourrit de diverses influences culturelles et spirituelles.

Les symboles, tels que la croix ansée, deviennent des marqueurs d’identité et d’appartenance, tout en soulignant la richesse et la diversité du rastafarisme en tant que mouvement dynamique et en constante évolution.

Conclusion:

Le rastafarisme, bien qu’étant souvent perçu comme une sous-culture ou un mouvement marginal, possède des racines profondes dans les traditions abrahamiques et une vision unique du monde spirituel. La prophétie de Marcus Garvey concernant Hailé Sélassié, les racines “abrahamiques” du mouvement, l’utilisation du Kebra Nagast, la théorie des Hébreux noirs et l’intégration croissante de concepts kémites témoignent de la richesse et de la complexité de cette religion noire.

En tant que mouvement de pensée il représente une réaffirmation de l’identité africaine, une critique du colonialisme et une voie spirituelle qui relie les rastas à leurs ancêtres bibliques et à l’héritage culturel de l’Afrique. En puisant dans les traditions abrahamiques et en intégrant des éléments de la pensée panafricaine, les rastas créent une spiritualité qui est à la fois une source de résistance et une quête de réconciliation et d’harmonie entre l’Afrique et le reste du monde.

Le rastafarisme et le panafricanisme partagent une quête commune pour l’émancipation, la libération et la reconnaissance de l’identité africaine. Les rastas ont contribué à la diffusion du panafricanisme à travers leur musique, leur activisme et leur résistance. Cette alliance entre le rastafarisme et le panafricanisme a permis de forger une voix puissante et un mouvement culturel et politique qui continue d’inspirer et de mobiliser les communautés africaines dans le monde entier.

Le rastafarisme continue d’évoluer, avec de nouvelles interprétations et influences qui s’ajoutent à son tissu spirituel et culturel. Cela reflète la capacité “syncrétique” du mouvement à se renouveler et à s’adapter, tout en maintenant ses fondements identitaires et sa recherche d’égalité, de justice et de libération pour tous les peuples.

Sources:

En anglais:

“The Rastafari Movement” – par Ennis Edmonds et Michelle A. Gonzalez

“Rastafari: A Very Short Introduction” – par Ennis B. Edmonds

“The Rastafari Reader: From Marcus Garvey to Walter Rodney” – édité par Nathaniel Samuel Murrell, William David Spencer, et Adrian Anthony McFarlane

“Rastafari and Other African-Caribbean Worldviews” – par Barry Chevannes

“Rastafari: Roots and Ideology” – par Barry Chevannes

“The Rastafarians” – par Leonard E. Barrett

“Reggae, Rastafari, and the Rhetoric of Social Control” – par Stephen A. King

“Dread Talk: The Language of Rastafari” – par Velma Pollard

En français:

“Le Rastafarisme : Une théologie afrocentrée” – par Michael Barnett

“Le Reggae et le Rastafarisme : Résistance et libération” – par Raymond Fondrevelle

“Rastafari et résistance afro-caribéenne” – par Bernard Rey

“Rastafarisme et société : Approches sociohistoriques” – par Margareth Joussemet

“Rasta : L’histoire et l’héritage” – par David Katz

“Rastafari : L’idéal vert, or, rouge” – par Jahlani Niaah

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