Héritage du Djihad Peul, entre passé et présent.

Le nord du Mali a connu un bouleversement majeur en 2012 avec une insurrection menée par une alliance de groupes touaregs, arabes et djihadistes. Cet événement a révélé un changement radical dans l’utilisation de la violence pour obtenir des concessions politiques, renforcé par l’accord d’Alger en 2015. Ce contexte a permis à des figures comme Amadou Kouffa, leader du Front de Libération du Macina (FLM), d’émerger et de devenir une personnalité influente au sein de la communauté peule. En réactivant l’héritage historique des djihads du passé, Kouffa a su s’imposer comme un leader charismatique, remettant en question le pouvoir (politico-religieux) héréditaires des dignitaires qui tirent leur légitimités directement de l’époque de Seku Amadou, fondateur de la théocratie peule du Macina.

Cependant, cette montée en puissance n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une tradition historique qui lie les Peuls à l’islam et aux djihads, initiée dès le 19e siècle avec des figures comme Seku Amadou, qui a lutté contre les chefferies locales pour établir un empire théocratique dans la région de la boucle du Niger.

Les Racines Historiques du Djihad Peul

L’image des Peuls comme un peuple pastoral et nomade, souvent perçus comme détachés des affaires politiques, a été profondément modifiée à partir des 18e et 19e siècles. À cette époque, les Peuls se sont engagés dans des djihads qui ont radicalement transformé leur identité et leur rôle dans la région. Ces djihads ont notamment permis l’établissement de théocraties peules, consolidant un contrôle territorial qui marquait une rupture avec leur passé.

Des sources historiques comme les chroniques de Kano, le Tarikh el-fettach et le Tarikh es-soudan, relatent les premières mentions des Peuls. Décrits comme des assaillants des centres civilisés et indifférents à l’islam, les Peuls ont progressivement intégré l’islam dans leur identité, ce qui a facilité l’émergence de leaders religieux et politiques. Ces leaders ont souvent manipulé la généalogie et la religion pour renforcer leur légitimité. À partir du 15e siècle, la dynastie Denyanké, sous la direction de Koli Tengella, a joué un rôle mineur dans cette transformation en conquérant des territoires tels que le Fuuta Toro. Puis en cherchant des mécanismes de légitimation de leur pouvoir sur la région.

C’est le 18e siècle qui a vu l’essor des djihads peuls, soutenus par une prophétie du Mujaddid, une figure inspirée censée restaurer l’islam pur. Cette prophétie découle d’un hadith rapporté dans le Sunan Abu Daoud, qui affirme que le Prophète Mahomet a dit : « Allah suscitera pour sa communauté, au bout de chaque cent ans, celui qui rénovera sa religion pour elle » (as-Sijistani, 817). Cette prophétie a légitimé les actions des leaders djihadistes dont Ousmane Dan Fodio, Seku Amadou, El Hajj Omar Tall (…) et renforcé leur emprise politique dans la région. Ce cadre prophétique a également contribué à faire du djihad, de la violence au nom de Dieu, un moyen légitime pour obtenir le pouvoir, une dynamique toujours vivace dans le Sahel contemporain.

Héritier d’un Passé Violent

Aujourd’hui, les djihadistes peuls s’inscrivent dans une continuité idéologique héritée des djihads passés. Des figures comme Amadou Kouffa, Malam Dicko (…) se posent en restaurateurs de la foi islamique, combattant contre des élites politico-religieuses perçues comme corrompues et inefficaces. Les insurgés actuels, tout comme leurs prédécesseurs, se servent de la religion pour justifier leur violence et asseoir leur légitimité au sein des communautés peules.

Les dynamiques sociales internes, notamment la division entre aînés et cadets sociaux (Rimbé et Rimyabé), favorisent également l’émergence de leaders comme Kouffa. Ces derniers contestent l’ordre établi et revendiquent une nouvelle forme d’autorité, celle-ci directement liée à une vision rigoriste de l’islam. Cette dynamique rappelle les insurrections passées, où des figures comme Seku Amadou ont su mobiliser des foules en s’appuyant sur le mécontentement face aux structures sociales traditionnelles.

Des Leçons à Tirer

L’héritage des djihads peuls passés ne peut être sous-estimé dans la compréhension des mouvements djihadistes contemporains. L’histoire montre que les insurrections peules, qu’elles soient d’ordre religieux ou politique, ont toujours été motivées par la volonté de renverser l’ordre social en place pour établir un État islamique conforme à leur vision. Aujourd’hui, les djihadistes peuls perpétuent cette tradition, s’appuyant sur les injustices sociales et économiques pour mobiliser de nouveaux partisans.

Les conflits actuels au Sahel, caractérisés par une violence récurrente et une insécurité croissante, trouvent ainsi leurs racines dans des dynamiques historiques. Les djihadistes contemporains, tout comme leurs prédécesseurs, se servent de la violence comme un moyen d’émancipation sociale et politique. Leurs actions, financées par divers partenaires internationaux, des trafics illicites et rançons, montrent que la dimension économique reste une composante essentielle de ces conflits.

Conclusion

Les mouvements djihadistes peuls d’hier et d’aujourd’hui partagent de nombreux points communs. Tous deux utilisent la violence comme moyen de transformer l’ordre social et de restaurer l’islam selon leur interprétation. L’héritage des djihads passés, renforcé par la prophétie du Mujaddid, continue de façonner la réalité du Sahel contemporain.

Comprendre cette continuité historique est essentiel pour appréhender les enjeux actuels de la région et pour concevoir des stratégies efficaces afin de résoudre durablement ces crises. L’histoire nous montre que la violence ne surgit pas dans un vide, mais qu’elle s’appuie sur des traditions et des perceptions profondément enracinées dans les sociétés concernées.

Sources

Robinson, David (1988). Ses travaux sont cités pour leur analyse des djihads peuls et la manipulation des généalogies pour renforcer les liens entre les Peuls et l’islam.

Manuscrits de Tombouctou : Mentionnés pour fournir des informations historiques sur les Peuls, y compris les chroniques de Kano, le Tarikh el-fettach et le Tarikh es-soudan.

Batran & Ly-Tall (1996). Ils sont cités concernant la prophétie du Mujaddid et ses implications dans les djihads peuls du 19e siècle et leur impact sur les mouvements actuels.

Sunan Abu Daoud, rapporté par as-Sijistani (817). Ce recueil de hadiths est cité pour la prophétie qui a influencé les djihadistes peuls.

Felix Dubois (1897). Son livre “Tombouctou” est utilisé pour décrire la situation de violence en Afrique de l’Ouest au 19e siècle.

Lam, Aboubacry Moussa (2001). Il est cité pour ses analyses sur le rôle de l’islam dans la formation des États peuls et l’impact de la conversion des Peuls sur leur identité politique et religieuse.

Thierno Diallo (1972). Il est cité pour son interprétation de la conversion des Peuls à l’islam et son rôle dans l’intégration sociale et politique des Peuls.

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