La découverte d’un observatoire astronomique chez les Dogons
Le peuple Dogon du Mali est célèbre dans le monde entier pour la splendeur de ses masques, la beauté de son architecture, la richesse de son patrimoine social et culturel. En Europe, et notamment dans certaines parties du monde, Leur civilisation est connu en grande partie par le travail de deux ethnologues français, Marcel Griaule et Germaine Dieterlen. Moins connu est l’article publié en 1950 par ces deux chercheurs où est relatée la connaissance de l’étoile Sirius par les Dogon. Cette publication a fait l’objet d’une vaste polémique car elle contient une énigme scientifique. Pour tenter de la résoudre, une expédition « ethno-astronomique » a été réalisée en 1998 dans la région de Sanga, en compagnie de Germaine Dieterlen. Les relevés réalisés en différents lieux ont pu démontrer l’existence de sites astronomiques, formés d’alignements, consacrés à l’observation de Sirius. L’existence de tels « observatoires » en Afrique restitue à ce continent sa première place dans l’histoire de l’astronomie mondiale. Ces observatoires évoquent aussi un lien avec la science ancienne égyptienne.
Germaine Dieterlen 1903-1(999). Après avoir débuté ses travaux en 1935, le voyage de 1998 a constitué pour Germaine Dieterlen son ultime mission ethnologique et sa dernière visite chez les Dogon à l’âge de 95 ans, après plus de soixante ans d’études. Germaine Dieterlen est ici en discussion avec un de ses informateurs, Diamguno Dolo (au centre).
Scientifiquement, l’Afrique est oublié dans les archives scientifiques. En consultant les meilleurs ouvrages d’histoire des sciences et les encyclopédies, pratiquement vous trouverez moins de références à un scientifique africain, ou une découverte, ou simplement à un fait de science africaine. Ceci fait partie de l’aveuglement constant de l’Afrique, et de leur obstination à nier tout apport scientifique, autre que celui issu de la culture occidentale. Quitte à oublier au passage des pans entiers des savoirs de l’humanité, ceux de l’Asie, ou bien à se le réapproprier. L’histoire scientifique du monde est donc réécrite au prix d’un mensonge culturel constant. Pour l’Afrique, le trop peu de textes et de découvertes archéologiques mises au jour rend encore plus facile cette falsification. Seuls des travaux pluridisciplinaires d’avant-garde comme ceux de Cheik Anta Diop ont contribué à tirer le continent africain de l’oubli scientifique.
Parmi toutes les sciences, l’astronomie est à la fois la plus universelle et la plus ancienne. Dans un immense continent comme l’Afrique, qui est le berceau de l’humanité, il est totalement impensable que des hommes n’aient pas entretenu, ici comme ailleurs, un inventif dialogue avec le ciel. Et pourtant des traces existent. Dans une terre où la tradition orale a souvent pris le pas sur les textes et les écrits, ce sont , les récits, voire les espaces, les pierres qui peuvent nous livrer les clefs de connaissances anciennes ou plus récentes qui forment la base de la science africaine. Dans le monde de l’ethnologie, un article consacré à l’étoile Sirius chez les Dogon, publié en 1950 par deux chercheurs français, Marcel Griaule et Germaine Dieterlen, dans le Journal des Africanistes, a fait l’objet de nombreuses discussions souvent très polémiques . Dans le but d’évaluer les faits scientifiques sur lesquels pouvaient reposer le compte-rendu ethnologique, une mission « ethno-astronomique » a été réalisée en juillet 1998, dans le village de Sanga (Mali), en compagnie du cinéaste-ethnologue Jean Rouch et de l’ethnologue Germaine Dieterlen. Les relevé effectué sur place ont permis d’identifier un observatoire dogon , site consacrée à l’observation de sirus. Sirius est l’étoile la plus brillante du ciel et, à ce titre, ne pouvait passer inaperçue pour l’ensemble des hommes depuis la nuit des temps. Pourtant, elle n’a pas une place centrale dans la plupart des cultures astronomiques, à l’exception remarquable de l’Egypte ancienne et chez les dogon. Son statut y a été largement documenté . Désignée sous le nom de (la pointue), l’étoile est traditionnellement associée au début de l’année égyptienne. Son lever à l’horizon en même temps que le Soleil (ou lever héliaque), coïncidait approximativement avec la crue bénéfique du Nil. Le nombre de documents réellement découvert en égypte a nécessité de nombreuses « interpolations » pour établir que ce phénomène avait permis aux égyptiens, sans doute dès le XXe siècle avant le début de l’ère moderne, d’obtenir une valeur très précise de la durée de l’année, en réglant ainsi leur calendrier sur la sphère des étoiles plutôt que sur le Soleil ou la Lune. Sirius, Sa trajectoire autour de Sirius-A est relativement bien connue, C’est une orbite que Sirius-B parcourt en 50 ans et 18 jours, selon une éclipse relativement aplatie (d’excentricité 0,59), de sorte que sa distance à Sirius-A varie selon les époques. Sur le ciel, l’écart entre les deux étoiles varie entre 3 et 12 secondes d’arc (1 seconde d’arc est l’équivalent d’une pièce de monnaie de 1 cm vue à 2000 mètres de distance) . L’œil humain ne peut distinguer que des angles supérieurs à environ 90 secondes d’arc donc les deux étoiles ne sont pas séparables à l’œil nu. L’analogie entre certains aspects des récits Dogon et les découvertes scientifiques concernant Sirius n’a pas manqué d’être relevée. Parmi ceux-ci, l’existence même du compagnon, les caractéristiques de sa trajectoire, sa nature dense.
Fig. 1- La grande arche de Polio-Kommo (Sanga-Mali)
La grande dalle de pierre a une hauteur de 6 à 8 m et une dimension d’environ 14 m de long et est orientée approximativement nord-sud. Le point d’observation depuis la table est marqué par un « trou d’homme », ouverture traversant le rocher, visible sur la photo de la face Est, obtenue en 1954 par l’ethnologue Germaine Dieterlen. La photographie de l’arche, prise en 1998, montre le basculement de la table de pierre probablement sous l’effet de la foudre, bouleversant la disposition antérieure. Le point d’observation est en partie comblé.
Un site en particulier a été relevé, le lieu-dit « polio-kommo » ou « caverne du traversement », situé à environ 4 km à l’ouest du village de Sanga. Ce site est organisé autour d’une gigantesque table de pierre d’une longueur approximative de 13 mètres, surplombant un ensemble de rochers (Figure1). Les premières photos prises par G. Dieterlen en 1954, montrent la table intacte alors qu’actuellement elle est brisée en deux avec des traces caractéristiques de foudre. Sous la table, approximativement au milieu, était ménagé, un trou où un homme pouvait se glisser, aujourd’hui comblé par l’effondrement. Ce site est considéré par les Dogon de Sanga comme le lieu symbolique où l’arche (ou le panier) transportant les premiers ancêtres s’est posée sur la Terre dans la genèse Dogon. A côté de la table, qui symbolise l’arche, sont disposés, au sud, quatre rochers figurant les quatre ancêtres à l’origine des quatre grandes familles Dogon, les Arou, Dyon, Ono et Donmo. Enfin, à l’est de la table, se trouvent deux rochers séparés d’environ 20 m et qui sont désignés comme le rocher du Soleil (coté Nord-Est) et de Sirius (côté Sud-Est) , respectivement à 43 m et 29m de la table (Figure 2).
Le relevé du site de Polio-Kommo – Relevé général du site montrant l’orientation et la disposition de l’arche et des deux rochers du Soleil (au nord-est) et de Sirius (au sud-est). Vue depuis le point de leurs observation de l’arche, la direction géographique exacte des extrémités des rochers est de 74° (Soleil) et 110° (Sirius). Ces directions coïncident assez exactement avec la direction d’apparition du Soleil (71°) et de Sirius (107°), à l’époque de l’année de leurs levers presque simultanés (lever héliaque).
L’enquête ethnologique, recueillie auprès des premiers informateurs de Griaule et Dieterlen, montre l’importance de Sirius. Selon la cosmogonie Dogon, lors de la création du monde : « Après le Nommo, tous les êtres qui se trouvaient sur l’arche descendirent à leur tour sur la Terre. Lorsqu’elle fut vidée (de son contenu) Amma fit remonter au ciel la chaîne qui la maintenait puis il « referma » le ciel. Les hommes qui avaient vu briller « sigi tolo » pendant toute la descente (et au moment de l’impact) assistèrent alors au premier lever du soleil qui sortit à l’est et qui dès ce moment éclaira l’univers…. » et le Soleil y est directement associé avec Sirius car « …on dit » sigi tolo et le Soleil sont descendus au milieu de la nuit, sigi tolo a montré le chemin, le Soleil après s’est levé. Cette association Soleil-Sirius suggère très fortement le phénomène dit du lever « héliaque » (de helios=soleil, lever avec le Soleil). Ce terme désigne le moment où une étoile et le Soleil se lèvent ensemble sur l’horizon Est, au lever du jour. Du fait du mouvement saisonnier du Soleil à travers les étoiles, cette conjonction intervient une seule fois dans l’année, à une date précise, dépendant du lieu et des coordonnées de l’étoile. A cette date, l’étoile est aperçue fugitivement juste avant le lever du Soleil, puis de jour en jour, le Soleil se déplaçant avec la saison, l’étoile est visible de plus en plus longtemps. Le moment exact du lever héliaque, est difficile à déterminer, il dépend de la luminosité de l’étoile, des positions relatives étoile-Soleil et des conditions d’observations, un problème analogue à la première visibilité du croissant lunaire qui détermine en Islam le début et la fin du jeûne du mois de Ramadan. L’étoile ne sera réellement visible que lorsqu’elle se lève légèrement avant le Soleil pour ne pas être noyée dans la lumière du jour. L’observation est bien sûr plus aisée pour l’étoile la plus brillante du ciel et c’est pour cette raison que les anciens égyptiens avaient choisi le lever héliaque de Sirius pour mesurer leur année. Le retour de cette conjonction marque en effet très précisément l’écoulement d’une année entière. L’ensemble du site a été relevé par arpentage et à l’aide d’un compas de poche (avec des précisions de l’ordre de 0,3 m sur les distances et de 1° sur les angles calculés). Sur le plan du site ont été en particulier mesurées les directions azimutales des deux rochers, à partir du point d’observation du trou d’homme, indiqué par les Dogon. Mesurées à partir de ce point, la pointe extrême Nord du rocher Soleil est situé à 74 degrés (azimut compté dans le sens direct à partir du Nord) et la pointe extrême sud de celui de Sirius à 110 degrés (Figure 2). Le déplacement du point d’observation du centre aux extrémités de la table entraînerait une variation maximale d’environ 6 degrés pour ces directions. Ces directions ont pu être comparées aisément aux directions calculées du Soleil et de Sirius lors du lever héliaque à Sanga (Figure 3). La date du lever observable dépend de l’écart entre la hauteur sur l’horizon (élévation) de Sirius et du Soleil, imposé pour que l’étoile soit visible. A Sanga ( 3°19′ W / 14°32′ N), il est situé entre le 12 juillet, date à laquelle le Soleil et Sirius sont tous les deux à l’horizon et le 1er août où il existe déjà un écart de 18° entre l’élévation de Sirius et du Soleil. Entre les deux dates, l’angle azimutal du Soleil varie de 67 à 71° tandis que celui de Sirius est constant de 107°. L’observation au niveau de l’horizon étant pratiquement impossible, les directions ont été également évaluées pour une position où les deux astres ont une élévation de 5° et elles correspondent à 73 et 109 degrés pour Soleil et Sirius
L’observatoire du lever héliaque
La vue de l’horizon depuis la grande arche de pierre. Face à elle, vers l’Est, deux rochers symbolisent le Soleil (à gauche) et Sirius (à droite), situés respectivement à 43 et 29 mètres. Sur le schéma, les variations de la position à l’horion du Soleil autour de la date du lever héliaque sont indiquées en gris, ainsi que la variation de l’angle de Sirius au cours de son lever. L’extrémité des rochers indique bien la position des astres lors du lever héliaque.
L’extrême bonne coordonnance entres ses positions et les directions des roches démontrent clairement que la position du terrain étaient étudier par les dogons pour déterminer et obersver le moment du lever héliaque de sirus . La coincidence devient plus claire lorsque l’on compare avec l’amplitude saisonnière de l’azimut du soleil à son lever qui varie de 60° (au solstice d’hiver) à 114° (au solstice d’été). Bien au-delà de toutes attente initiales, les relevés astronomiques qui ont pu être effectués dans des lieux désignés par les Dogon comme consacrés à Sirius ont apporté des résultats concrets, objectifs et précis qui permettent de tirer plusieurs conclusions et démontrer au reste du monde, que les dogon avaient bien un observatoire astronomique .
LECTURE RECOMMANDÉE
(SABELLE FIEMEYER, MARCEL GRIAULE, CITOYEN DOGON, 2004, PAGE 166)
@ECOLEDESSAGES
En savoir plus sur Kamademia
Subscribe to get the latest posts sent to your email.